Témoignage vidéo d’une personne souffrant d’anorexie mentale, première partie

Dans cet article, je vous partage ma première interview vidéo en compagnie de Débora, jeune femme qui souffre d’un trouble du comportement alimentaire : l’anorexie mentale.

Elle a gentiment accepté de témoigner à ce sujet, ce TCA qui lui pourrit la vie.

Je lui en suis très reconnaissante car il n’est jamais facile de se livrer sur ses difficultés de vie.

Pour rappel, les TCA ne sont pas un choix et les personnes qui en souffrent méritent considération, soins spécialisés et attention.

Le début du trouble alimentaire de Débora et le diagnostic

EMMA : bonjour, bienvenue à Débora. Nous sommes ici sur ma chaine qui s’appelle « desanorexie« , et qui a pour objectifs de mieux comprendre les TCA, de mieux comprendre les personnes qui en souffrent, d’aider les familles, les proches à comprendre les TCA afin de mieux réagir. Et d’aider les thérapeutes à mieux comprendre leurs patients et ce qui se passe un peu dans leur tête. J’ai la chance d’avoir avec moi Débora qui a accepté de témoigner, je la remercie beaucoup. C’est la première à témoigner sur la chaine et je suis très honorée qu’elle ait accepté mon invitation. Débora, je te laisse te présenter.

DEBORA : Bonjour, je m’appelle Débora, j’ai 21 ans, je suis actuellement étudiante. J’ai eu mon bac il y a deux ans et maintenant je suis étudiante en biologie en licence SVT. Cette année c’était un peu compliqué.

EMMA : de quel TCA souffres tu ?

DEBORA : je souffre d’anorexie.

EMMA : as tu une idée de l’âge où cela a commencé ?

DEBORA : de ce que je me souviens, les premiers troubles sont apparus vers 14 ans. A cette période là, il n’y avait rien de grave. Encore maintenant, quand j’en parle avec mes parents, ils ne croient pas (que cela a commencé vers cet âge). Rétrospectivement, je me rends compte que cela a commencé à cette période même si c’était discret à l’époque.

EMMA : est ce que tu peux décrire ta relation avec la nourriture depuis que tu as observé ces troubles ?

DEBORA : au départ, j’ai voulu faire un petit régime, sachant que je n’avais pas énormément de poids à perdre. Je n’étais pas vraiment en surpoids mais voulais quand même en perdre, sachant que c’était la mode en quelque sorte. Je me suis petit à petit intéressée à l’alimentation vraiment saine, puis je suis rentrée dans cet engrenage, et notamment dans l’orthorexie (encore maintenant) : je me suis mise à sélectionner certains aliments. Et là, à 21 ans il y a certains aliments que je n’ai pas mangé depuis mes 14 ans.

Au départ des troubles, je me suis fais un peu vomir, mais à l’heure actuelle, cela ne m’arrive pas ou vraiment très très rarement. Ce n’est pas le coeur de mon trouble, c’est vraiment dans la façon de s’alimenter. Petit à petit, j’ai éliminé des aliments des aliments, puis ensuite impossible de les rajouter et de les réintroduire de nouveau. Petit à petit, cela fait de plus en plus d’aliments supprimés et cela finit mal.

EMMA : pour information l’orthorexie est un trouble alimentaire qui concerne les personnes qui veulent s’alimenter très sainement et cela devient obsessionnel. Elles éliminent les aliments qu’elles estiment ne pas être sains, et cela devient restrictif et peut basculer vers un TCA plus important.

Voir aussi mon article Glossaire ici, dans lequel vous retrouvez diverses définitions.

Si on en vient maintenant à la relation à ton corps, à ton image depuis que le TCA a commencé, que pourrais tu nous en dire ?

DEBORA : A la base j’ai vraiment voulu faire un régime pour perdre un peu de poids, mais on ne m’a jamais fait de remarques déplacées. Mon père parfois essayait de m’alarmer pour ne pas que je prenne trop de poids, sans plus, cela me semblait normal. Ma mère pareil. C’était comme tous les parents. Je n’ai jamais été harcelée à l’école, jamais de réflexion sur le poids, on ne m’a jamais dit « tu es grosse ». Je voulais faire un petit régime, pour moi. J’ai perdu du poids sans spécialement m’en rendre compte. Je voulais être mince mais ce n’était pas mon objectif principal et cela ne m’empêchait pas d’avoir des copains qui me trouvaient très bien comme j’étais. Comme j’étais rentrée dans l’engrenage de supprimer des aliments, c’était ça qui me faisait perdre du poids, que vraiment le fait de vouloir perdre du poids.

EMMA : tu évoquais les remarques de ton papa. L’as tu mal pris qu’il te mette en garde sur la gestion des aliments ou pas plus que ça ?

DEBORA : non pas du tout. C’est maintenant, à force que les psychiatres, les psychologues, nous rabâchent qu’il y a quelque chose dans le cadre familial, j’ai du coup relevé qu’il y avait eu quelques remarques de ne pas trop manger de ci ou de ça, mais cela me semblait normal. Leurs remarques ne m’ont pas semblé anormales. Si demain j’ai des enfants, je leur ferai remarquer d’éviter d’être dans l’excès et cela me semble normal.

EMMA : et finalement le diagnostic du TCA a été posé à quel moment dans ta situation ?

DEBORA : cela a été évoqué à mes 16 ans, quand j’ai perdu une première fois pas mal de poids. Un médecin l’a dit mais on ne s’est jamais attardé dessus. Ensuite j’ai repris du poids, et même mes parents n’ont pas fait spécialement de recherches par rapport à cela. Le diagnostic de certitude a été posé après Noël 2018. J’ai fait un voyage pour la Noël et mes parents se sont rendus compte lorsque je me suis retrouvée à regarder des cartes de restaurants en langue étrangère que je me retrouvais incapable de faire un choix. Cela les a alarmés, il se sont vraiment rendus compte qu’il y avait un souci et que, en être au point de ne pas manger pendant une semaine (celle des vacances), était un problème. Quand on est rentré, un contact avec une diététicienne a été enclenché. J’allais avoir 19 ans.

EMMA : finalement le professionnel qui l’annoncé était un médecin, un psychiatre?

DEBORA : Je pense que c’est mon médecin généraliste. Puis une diététicienne l’a confirmé aussi directement. Ensuite je ne sais plus dans quel ordre cela s’est fait. C’est allé très vite à partir de ce moment là. Hôpitaux de jour…

EMMA : et toi comment as tu réagi face au diagnostic ?

DEBORA : Pour moi, je n’avais pas de problème. Je n’allais pas finir en hôpital, j’allais juste rester fine comme cela et j’étais contente. J’étais bien, je me sentais bien, je n’avais pas de problème particulier. Je ne voyais de problème de forces, franchement tout allait bien pour moi.

EMMA : tu ne voyais pas de problème particulier. Donc maintenant (rétrospectivement), tu avais plutôt l’impression d’être dans le déni ?

DEBORA : Oui en quelque sorte. En fait ce n’est pas vraiment l’intention de ne pas comprendre, c’est qu’en fait qu’on nous le dit pas, on ne sait pas que cela peut vraiment mal finir. On en parle peu en fait.

EMMA : et tes proches, comment ont ils réagi face à ce diagnostic ?

DEBORA : ils ne savaient pas trop comment faire car cela a été diagnostiqué en janvier 2019. A partir de là, mes parents ont commencé à faire des recherches sur l’anorexie car, même eux, ils ne savaient pas ce que c’était. Mais sur internet, il n’y a pas que du bon ou que du mauvais. Je ne sais pas exactement ce qu’ils ont lu, mais peut être pas que des bonnes informations.

EMMA : Ont ils été aiguillés vers des supports internet par les professionnels de santé ?

DEBORA : Pendant les consultations pour moi, si mes parents étaient là, ils écoutaient, mais personne ne les a dirigés vers un groupe de parole. Cela n’existe pas vers chez moi.

EMMA : en Corse, il n’y a pas de groupe de paroles ?

DEBORA : pas du tout, ou alors je ne le sais pas. Mais vu comme j’ai cherché partout, s’il y en avait je pense qu’on le saurait.

EMMA : et les autres proches de ta famille, frère soeurs, grands parents … Comment ont ils réagi ?

DEBORA : toute ma famille est sur le continent. Ils n’ont pas été informés, ils ne savaient pas. Mes grands parents n’étaient pas au courant c’est sur. Oncles et tantes, je ne crois pas non plus. Ma petite soeur, j’ai pas trop le souvenir qu’elle ait réagi. Elle ne comprenait pas étant plus petite que moi. Elle ne s’est pas inquiétée plus que ça. Après j’étais en couple, cela faisait plus d’un an et c’est mon compagnon le premier qui s’en est rendu compte. Car c’est avec lui que j’étais constamment et qui l’a dit à mes parents. Lui par contre, cela le rendait complètement fou. Il ne comprenait pas. Il m’a connue à un poids normal et ne comprenait pas pourquoi je voulais perdre du poids. J’étais très proche de sa famille et mangeais très souvent chez lui. Ma belle famille, ne comprenait pas trop non plus. Mais ce ne sont pas mes parents, et ce n’est pas leur rôle de m’éduquer. A part essayer faire en sorte que j’ai juste ce qui me convenait pour manger, ils ne pouvaient pas faire grand chose. Après ils m’ont beaucoup parlé ; j’ai eu des grandes discussions avec mon copain, avec sa soeur. Mais j’étais à un stade où tout ce qu’on pouvait me dire, j’allais répondre mais cela n’allait rien changer pour moi.

Témoignage du parcours de soins depuis le diagnostic

EMMA : comment s’est passé ton parcours de soins depuis le diagnostic ? Qu’est ce qui a été mis en place ?

DEBORA : à partir de janvier 2019, cela est allé très vite. J’ai vu la diététicienne une ou deux fois et cela n’a pas du tout servi. A chaque fois que je la voyais, j’avais perdu plus de poids. Au final, j’ai tourné la chose à ma sauce : tout ce qu’elle me disait de faire : « il faut que tu réintègres ceci, cela ». Pour moi ce petit peu, cela voulait que si j’en mangeais un petit peu, j’allais reprendre du poids puisque c’est ce qu’elle voulait : en fait je faisais tout le contraire et c’était encore pire. En fait, sans le vouloir, elle m’a informée de ce qu’il fallait surtout pas que je mange pour ne pas reprendre de poids.

Elle m’a dit, il faut que tu manges cela pour au moins maintenir ton poids, mais j’étais à un stade où je n’avais pas envie. Le moindre conseil était détourné : j’évitais de manger ce qu’elle me conseillait. Je ne voulais surtout pas reprendre le poids perdu alors qu’à la base, je ne voulais pas le perdre.

EMMA : et tu as été hospitalisée ?

DEBORA : ensuite j’ai fait un peu d’hôpital de jour en addictologie dans un centre près de chez moi. Mais pour moi, cela a été très inutile car tout ce que je faisais c’était aller faire du sport. Je n’y allais pas sinon. Cela a été encore plus la descente aux enfers. Dans ce service d’addictologie, il n’y avait que moi qui souffrait de TCA. Je n’étais pas habituée, je pense. En mars, en deux jours, mes parents m’ont dit qu’on partait à Lyon en consultation. J’ai eu une consultation avec le psychiatre en chef du service qui a confirmé le diagnostic. Il voulait m’hospitaliser la semaine d’après (fin mars 2019). J’ai réussi à négocier pour passer mon anniversaire chez moi. Et le 9 avril 2019 j’étais hospitalisée. Et je n’ai plus remis un pied en corse jusqu’à août 2019.

EMMA : d’accord donc tu as été hospitalisée d’avril à Aout 2019. Dans la même clinique, j’imagine ?

DEBORA : ah, ça aussi cela a été une hospitalisation très mouvementée parce que au lieu de reprendre du poids comme il aurait fallu, j’ai un peu sombré là bas. Parce que d’être enfermée dans une chambre, loin de tout, de tout ce que j’aimais, cela m’a fait beaucoup de mal ; j’ai perdu beaucoup beaucoup trop de poids et du coup j’ai été transférée au CHU de Lyon en renutrition intensive, où là ils m’ont sondé de force, car en fait je refusais la sonde dans le premier hôpital (et dans le premier hôpital, ils n’avaient pas le droit de me forcer) et je crois qu’ils (lors du transfert) n’avaient pas le choix de me forcer. Au CHU, j’avais de petits scotchs autour de tous les endroits où je pouvais toucher la sonde, pour être sur que je les ai pas touchés, que je n’ai pas vidé la sonde. J’étais constamment allongée sur mon lit, je n’avais pas de salle de bain et j’avais la porte ouverte qui donnait sur le bureau des infirmières, jour et nuit, tout le temps. J’étais surveillée constamment constamment et je suis restée la bas pendant 10 jours. J’avais pas le droit de me lever de mon lit car j’étais vraiment trop bas, je ne tenais vraiment plus debout.

EMMA : et la prise en charge sur le plan psychologique, comment était elle à ce moment là de l’hospitalisation, t’es tu sentie soutenue ?

DEBORA : à la clinique, on avait les psychologues et psychiatres qui venaient dans la chambre. Les 5 premières semaines, on est enfermé dans notre chambre et on ne voit pas les patients extérieurs, on ne sort pas en fait ; on n’a pas le droit de sortir de la chambre. Sur les 5 semaines, j’ai eu deux visites de mes parents pendant 4 heures un samedi après midi. Donc on voit les infirmiers qui rentrent et sortent dans les chambres, les plateaux qui rentrent dans les chambres et qui sortent, et les psychologues et psychiatres. Au CHU, je n’ai pas eu de psychologue ou psychiatre, c’était vraiment axé sur la renutrition, histoire que je tienne debout. Après au bout des 10 jours, je suis retournée à la clinique, et à partir de là, comme je tenais debout, j’ai pu sortir de ma chambre. Petit à petit, plus on évolue dans les soins, plus on a des autorisations. Mais dans l’ensemble, on est coupé du monde. Les 5 premières semaines, j’avais pas de téléphone, pas d’internet ; même mon copain qui m’attendait en Corse, je ne pouvais avoir de contact avec lui à part les deux dernières semaines sur les 5 semaines, où j’avais le droit de lui écrire des lettres, qui étaient lues par les infirmières. Je me rappelle qu’il y avait une lettre où je parlais trop de ma maladie et ils n’ont pas voulu l’envoyer.

EMMA : difficile. Cet isolement, tu l’as plutôt mal vécu. As tu l’impression qu’il t’a servi à quelque chose ?

DEBORA : non, je n’ai rien contre cette clinique car il y a d’excellents psychiatres. Mais moi personnellement cela m’a traumatisée. Alors je n’arrive plus à rester enfermée une journée regarder la TV car j’ai été enfermée des journées entières à regarder la TV et là ce n’est plus possible.

EMMA : c’est vrai qu’il y a des patients à qui l’isolement sert mais ce n’est pas le cas de tous.

DEBORA : oui, en effet, il y en a (en isolement) qui ont lu plein de livres, qui se sont trouvé une passion pour la peinture, le dessin, … moi maintenant on ne met plus une feuille ou un stylo dans la main. J’arrive pas à dessiner, j’aime pas ça, j’arrive pas à lire un livre, j’aime pas ça, vraiment cela m’a repoussée. Mais c’est vraiment aléatoire je pense.

EMMA : et alors après cette phase de 10 jours très difficile, après être retournée à /…./ , la prise en charge psychologique a t elle parue adaptée, est ce que cela t’a aidée à te sentir mieux ?

DEBORA : il y a énormément de choses qui sont ressorties mais il n’y a rien à ressortir sur mon histoire passée : j’ai un passé très normal, je n’ai pas de traumatismes, rien dans mon passé. En fait, ma vie avant d’être hospitalisée était parfaite. Pas de traumatismes, tout allait bien. Ils ont appuyé sur pas mal de choses, m’ont fait discuter avec ma famille. On s’est rapproché avec ma famille. Avec mon copain, cela a été plus compliqué car même s’il a été là (le fait d’être en couple) pendant les 4 mois d’hospitalisation, il est venu me voir dès qu’il a pu ; il est venu me voir avec mes parents. Même au CHU alors que j’étais dans un état pitoyable, il est venu me voir. Il a pris des avions alors qu’il travaillait.

EMMA : chez les jeunes personnes (souffrant de TCA), on dit que la thérapie familiale est d’un grand secours souvent. As tu bénéficié d’une thérapie familiale ?

DEBORA : j’ai eu cette thérapie plus par lettre au départ puisque je ne pouvais pas trop voir mes parents. Après sur les 4 mois d’hospitalisation, on a eu une consultation vers la fin qui était une (ébauche de) thérapie familiale où j’étais avec mes parents. Quant à ma soeur, sur les 4 mois d’hospitalisation, elle est venue me voir une fois. Elle n’est pas venue sinon, quand elle a appris que j’étais sondée, elle ne voulait surtout pas voir ça je pense. J’ai eu une thérapie familiale avec mes parents : cela a beaucoup aidé mes parents, car on peur a posé plein de questions mais d’un autre côté cela les a desservi dans le sens où après cela a tourné des jours et des jours dans leur tête : ils cherchent à savoir où est le problème en fait mais on ne le trouve pas. A l’heure actuelle, on fait une thérapie familiale en ce moment.

EMMA : à raison de combien de séances et à quelle fréquence ?

DEBORA : elle dure depuis le mois d’août (2020) (soit environ 10 mois au moment de l’interview : mai 2021). Moi je vois la psychiatre une fois par semaine environ et mes parents la voient seuls une fois par mois. Et après depuis le mois d’août, on a eu 5 ou 6 entretiens familiaux. Et souvent ma psychiatre fait intervenir un psychiatre de Paris (je crois) en visioconférence, et lui aussi nous pose des questions. Ils essaient de travailler sur notre cas pour voir ce qui bloque. Et du coup actuellement, je suis aussi en hôpital de jour.

EMMA : cela se passe comment l’hôpital de jour, combien de fois par semaine ?

DEBORA : j’y vais plusieurs après midi par semaine, avec plusieurs activités : photo langage, sophrologie, discussion avec les infirmières.

EMMA : en effet, il y a beaucoup de thérapies psycho corporelles qui aident les patients à reprendre des sensations agréables avec le corps.

DEBORA : là, les sensations avec le corps on ne les travaille pas trop, car c’est un hôpital de jour dans le service d’addictologie. En corse, il n’y a pas de spécialistes dans l’anorexie.

EMMA : on dit souvent que les TCA fonctionnent comme des addictions ; enfin de ce que j’ai pu lire dans beaucoup d’ouvrages, on en parle, notamment sur des mécanismes neuro hormonaux. Il y a aussi des modèles animaux qui ont validé ceci, avec des expériences avec des rats notamment. Donc c’est pour cela qu’il y a des services d’addictologie qui peuvent intervenir dans ce type de trouble. Donc toi, tu as eu une sonde jusqu’en août 2019, et depuis, tu n’as pas eu à être sondée de nouveau ?

DEBORA : en fait, quand je suis revenue de Lyon, j’ai cru que tout allait être parfait. Déjà je pense que j’ai quitté Lyon beaucoup trop tôt, mais je pense que l’appel de chez moi était trop fort. Je voulais rentrer chez moi. Quand je suis rentrée, cela a été le choc : déjà je me suis séparée de mon copain, deux jours avant de rentrer. Donc la personne avec qui je passais me journées entières n’était plus là. Je n’avais plus la force de monter ma jument (je montais à cheval plusieurs heures par jour avant), donc j’avais perdu cela aussi. Ma soeur a pris peur, donc c’était trop compliqué. Elle ne voulait pas que je rentre car pour elle je n’étais pas guérie et elle avait raison. Et la plupart de mes amis n’étaient plus là. Je pense que eux aussi ont eu peur ; et pendant 4 mois sans téléphone, on ne parle à personne, on revient comme une fleur, les gens ne comprennent pas forcément.

EMMA : donc finalement, l’isolement qu’on t’a imposé t’a isolée encore plus de tes proches et de tes amis ?

DEBORA : oui je pense. Ma vie avant l’hôpital et ma vie après l’hôpital n’a rien à voir. J’ai fait en sorte que ça aille, je pensais être bien, que j’allais aller mieux. Mais en janvier 2021, ça a été la rechute. J’ai été hospitalisée encore une fois une semaine, en psychiatrie à Ajaccio. Ça a été, comme à chaque fois que je rentre dans les hôpitaux, cela a été une catastrophe de maintenir mon poids. J’ai perdu du poids. Ils m’ont gardé une semaine puis ensuite, on m’a envoyée à Nice, où j’ai été ressondée encore une fois mais comme je ne voulais pas de cette sonde, j’ai refusé. Au bout d’une semaine, je suis repartie. Depuis, je refuse tous les soins médicaux. Je ne veux plus être hospitalisée, je ne veux plus aller en clinique.

EMMA : et là, tu es toujours en hôpital de jour ?

DEBORA : oui

EMMA : tu ne veux plus être à l’hôpital à temps complet.

DEBORA : voilà, je ne veux plus être à l’hôpital à temps complet : je pense que c’est mon côté orthorexie qui pose problème. En mangeant seulement ce que j’accepte, j’arrive à me maintenir un minimum. Dès que je vais quelque part, je perds du poids car je suis incapable de manger ce que les autres me préparent.

EMMA : oui, tu ne veux pas que quelqu’un prenne le contrôle à ta place en fait.

DEBORA : oui, depuis Nice, j’ai même pas réussi à retourner chez mes parents. Mes parents m’ont pris un appartement (je ne suis pas indépendante financièrement) et m’ont laissé faire comme j’ai pu chez moi. Ils en souffrent énormément. Ils n’ont pas mangé avec moi depuis des mois et des mois. Même pour Noël, je n’ai pas été capable de manger avec eux.

Un premier bilan de Débora sur son anorexie

EMMA : oui c’est difficile, difficile. Que ferais tu comme bilan? Tu as l’impression d’en être où dans ce TCA ? As tu quand même l’impression d’avoir progressé suite à l’hospitalisation ?

DEBORA : non, franchement. Là j’ai un peu envie de baisser les bras. Cela fait presque trois ans que je supporte. C’est démoralisant d’avoir l’espoir que tout va aller bien mais au final, plus ça va, moins ça va. Mais bon, je suis quand même suivie, je tiens le coup. On ne sait jamais, peut être qu’à un moment donné ça ira. Mais en ce moment je suis plutôt pessimiste que optimiste.

EMMA : il ne fait pas baisser les bras surtout, c’est très important. Ne jamais abandonner, et puis, à un moment il y aura des déclics. J’espère vraiment que cela va se décanter au fur et à mesure des soins.

DEBORA : en plus j’ai un problème avec les médicaments. Je refuse tous les antidépresseurs. Cela n’aide pas, je fais un blocage avec cela.

EMMA : et sur le plan du moral ?

DEBORA : avant d’être hospitalisée, la dépression je ne savais pas ce que c’était. A l’heure actuelle, la dépression est plus que là. Ma psychiatre le dit, mes psychologues le disent, je suis bien en dépression. Et le COVID n’a fait que m’enfoncer encore plus.

EMMA : oui cela accentue l’anxiété des personnes ayant un TCA en effet.

DEBORA : c’est surtout le fait que j’avais un rythme à peu près qui allait : je me levais le matin pour aller en cours. A partir du moment où je ne me suis plus levée pour aller en cours, j’en suis à me réveillée à 14h30 parfois car je me suis totalement décalée. Je n’ai plus un rythme de vie normal, je n’y arrive plus. Je vis en décalé…

FIN DE LA PREMIERE PARTIE

En conclusion, dans cette première partie de témoignage de Débora, je retiens les quelques éléments clés suivants :

Il n’y a pas nécessairement de traumatismes sous jacents dans l’enfance ou l’adolescence, préalablement à l’installation d’un TCA.

Le fait de débuter un régime (pourtant si banalisé et malheureusement tellement promu dans les magazines féminins) est un facteur fréquent d’installation d’un TCA (environ 3/4 des TCA ont commencé suite à un régime, entre autres facteurs), sur des personnes en général prédisposées mais qui l’ignorent. L’orthorexie est à présent un TCA fréquent qui peut dévier vers une forme plus grave, avec notamment l’anorexie mentale.

Je parle d’orthorexie aussi dans ma chronique de livre « l’orthorexie, quand manger sain devient obsessionnel« .

Au sortir de l’adolescence, la période de transition vers la vie d’adulte et le moment de quitter la maison sont des périodes très délicates.

Une fois entrée dans l‘engrenage, la personne atteinte se retrouve prise au piège d’une maladie complexe, dont l’alimentation n’est que la partie émergée de l’iceberg.

A tous mes lecteurs et lectrices, je demande une vague de commentaires bienveillants et réconfortants sous cet article , afin d’encourager Debora dans son parcours de soins. En effet, deux mois après, elle est retournée en hospitalisation à temps complet pour la prise en charge de son TCA.

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D’autres témoignages sur l’apparition lente et discrète d’un TCA, un peu comme Débora ? C’est par ici.

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4 commentaires sur « Témoignage vidéo d’une personne souffrant d’anorexie mentale, première partie »

  1. Merci pour ce témoignage poignant et rare car il n’est jamais facile d’en parler si ouvertement. J’envoie à distance un énorme soutien à Débora dans son combat contre son TCA. Rien n’est perdu, ma petite sœur a aussi souffert d’anorexie, le parcours pour s’en sortir est difficile, mais pas impossible. Courage Débora !

  2. La mode du « toujours plus mince « incite malheureusement certaines jeunes filles à un régime sans imaginer les conséquences désastreuses que cela peut entraîner .
    Courage à Déborah dans son combat !

  3. Je suis très touchée par le témoignage de Débora. Très impressionnée par sa lucidité qui selon moi va lˋ aider à en sortir. Je la remercie de la force dont elle fait preuve et sur laquelle elle pourra s appuyer. Je connais cette maladie de façon très personnelle et je crois que l on peut s en sortir. Je crois en elle.

    1. Bonjour, je suis très contente de recueillir ce si gentil commentaire et vos encouragements pour Débora <3
      moi aussi je pense qu'elle va surmonter son TCA.:-)

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