Documentaire « anorexia nervosa : primum non nocere » : comprendre la maladie

Vous avez pu voir il y a quelques jours sur ce blog la première partie du documentaire au sujet de l’anorexie mentale, intitulé « anorexia nervosa, primum non nocere ». Cette première partie dénonçait la maltraitance anachronique rencontrée par les patients dans certains établissements. Le terme « anorexia nervosa » désigne la maladie plus communément appelée anorexie mentale, ou anorexie nerveuse.

Voici à présent la seconde partie du documentaire qui investigue la question fondamentale de la compréhension de la maladie.

Pour sortir de l’anorexie ou éviter d’y plonger, la première étape est la psycho éducation : comprendre l’épistémologie de la maladie, son origine, les facteurs environnementaux et les comorbidités qui la favorisent.

Comprendre également les mécanismes anorexigènes, et l’ambivalence qui caractérise l’emprise de la maladie sur les personnes qui en souffrent. 

Avec : Dr Alain Perroud, Magali Volery, Sabrina Palumbo-Gassner, Natacha Guiller, Clémence Laborde, Nohémie Latis.

Voici la retranscription de ce documentaire.

L’anorexie mentale est une maladie dite « bio psycho sociale » : elle est favorisée par des facteurs de prédisposition et un certain nombre de co-morbidités.

Ce qu’on peut dire aujourd’hui c’est qu’il existe une dimension biologique, une dimension psychologique, une dimension sociétale.

Il y a des facteurs de prédisposition génétique et hérido-pathogéniques certains. Et ils entrent pour une proportion non négligeable dans les facteurs de risque de développer une anorexie mentale.

Facteurs sociaux et catégories représentées lors d’anorexia nervosa

On sait aussi que l’anorexie mentale est l’apanage des sociétés occidentalisées. Il y a un lien avec l’environnement social extrêmement fort c’est évident. Aussi les femmes sont dix fois plus touchées que les hommes par cette pathologie. Les métiers qui exigent minceur et contrôle du poids prédisposent au risque de développer des troubles des conduites alimentaires.

Les TCA affectent 40% des mannequins mais aussi de nombreux sportifs de haut niveau et des danseuses classiques.

Parmi les facteurs de prédisposition qui vont fragiliser une personne il peut y avoir aussi des événements de vie. Parmi ces événements de vie stressants, traumatisants, on retrouve évidemment tout ce qui va toucher à la sphère sexuelle. Cela peut être un facteur de fragilisation : c’est à peu près un tiers des personnes qui ont une histoire traumatique ça veut dire aussi que deux tiers d’entre elles ne l’ont pas.

Il faut se méfier de ça parce que çela peut biaiser l’attitude des soignants qui vont à tout prix vouloir rechercher une histoire traumatique pour comprendre le trouble alimentaire et tout expliquer avec ça. C’est une errance diagnostique et thérapeutique qui peut faire perdre énormément de temps ou même créer du stress chez des personnes qui n’en ont pas besoin.

Co-morbidités psychologiques : anxiété, dépression, autres addictions lors d’anorexia nervosa

Il est très rare qu’un trouble de l’alimentation se produise seul : il est plus d’une fois sur deux associé à d’autres problèmes psychologiques. Les plus fréquents sont l’anxiété et la dépression.

On a une proportion non négligeable de personnes ayant des troubles neuro-développementaux. Les plus souvent cités sont les traits autistiques ou encore les troubles déficit de l’attention.

Témoignage de Clémence Laborde, danseuse chrorégraphe

« Je peux dire que j’ai différentes pathologies psychiatriques je ne suis pas seulement anorexique, je suis aussi mélancolique, dysthymique (c’est à dire avec une dépression chronique).

L’an dernier, on m’a diagnostiqué aussi un syndrome Asperger. Je suis suivie pour des raisons psychiatriques depuis 17 ans. J’ai commencé un suivi à l’âge de 8 ans et les troubles alimentaires ont commencé à l’âge de 15 ans. Je n’ai pas eu de phase de déni. Mon anorexie était plutôt secondaire à un état de dépression et de mélancolie profonde et un moyen de me tuer un petit peu tous les jours et de montrer que j’étais là puisque j’avais une grande souffrance. Cette souffrance a toujours été là pour moi, je suis née avec, je suis comme ça c’est tout.« 

Dr Alain Perroud (psychiatre)

Une petite partie des personnes souffrant de troubles alimentaires ont par ailleurs des toxico-dépendance ou des dépendances à des produits. Dans l’anorexie mentale restrictive, il y a une superposition extrêmement fréquente avec les troubles obsessionnels compulsifs près de 25 % des cas.

Il semblerait qu’il y ait aussi des prédispositions psychologiques ou de tempéramentales : le fait d’avoir un haut niveau d’exigence personnelle et le fait d’avoir une faible estime de soi.

Ces deux dimensions si elles sont associées en plus à un tempérament anxieux sont des facteurs très prédisposants au développement d’un trouble des conduites alimentaires particulièrement si on est une femme.

Parce que c’est là où la société agit le plus sur l’archétype féminin de minceur et de maigreur comme étant un élément de valeur personnelle.

Témoignage de Natacha Guiller

A l’école primaire, je ne parlais presque pas. Très vite je me suis un peu isolée dans des mondes parallèles. Je n’étais pas vraiment en échanges avec les autres. Je pense que c’est vers le collège où il y avait un ennui profond, une sorte de dépression. En fait une tristesse très très forte. Mes pensées allaient à toute allure depuis toute petite avec plein de questionnements. Et j’avais du mal à gérer. Je pense que le fait de commencer à arrêter de manger a été une façon de ralentir cette frénésie de penser. Cela m’a permis de prendre un contrôle sur moi et j’ai commencer à noter ce que je mangeais (sur un carnet alimentaire). Et petit à petit, cela a commencer à occuper de plus en plus mon esprit.

Mme Magali Volery (psychologue)

« Il y a un aspect dans la personnalité des personnes qui souffrent d’anorexie (et donc, que l’on pourrait repérer avant que le trouble s’installe), c’est la notion de flexibilité (en fait, il s’agit du manque de flexibilité).

Quand on est perfectionniste et qu’en plus on est rigide, c’est beaucoup plus difficile d’assouplir les choses (chez ces personnes ). Et donc cette rigidité, on peut la repérer dans les règles de vie qu’on se pose. Mais ça peut être pour l’hygiène, ça peut être pour le sommeil, ça peut être pour « ce que je dis ce que je dis pas », « ce que je contrôle »…

L’adolescence, période la plus à risque d’anorexie

Les troubles des conduites alimentaires apparaissent le plus souvent à l’adolescence.

Dr Alain Perroud

C’est un trouble de l’adolescence car c’est à la fois une période de changements corporels considérable particulièrement plus pour les filles d’ailleurs que pour les garçons avec la maturité sexuelle qui modifie sensiblement l’aspect du corps.

La poitrine, les hanches le ventre, les changements corporels sont très importants et souvent mal vécus du fait des prises de poids, du tissu adipeux qui s’accumule, ce qui est physiologique à cet âge là mais pas toujours bien toléré.

Dans une période de conquête d’une vie sociale et interpersonnelle, l’image, l’aspect, la forme du corps, le poids que l’on fait, jouent un rôle incontestable. D’où plus de préoccupations sur son image particulièrement avec le développement des réseaux sociaux qui, récemment, ont exacerbé l’importance de l’image du sujet dans sa communication.

Témoignage de Sabrina Palumbo

« J’ai toujours été une petite fille très volubile, qui réussissait, qui était brillante à l’école, qui réussissait dans le sport, à la musique, avec ses amis. Mais en dehors de mes cercles, j’avais du mal avec le lien aux autres et la relation à autrui et j’avais certainement un manque de confiance en moi important. »

Magali Volery : « l’adolescence, c’est quand même une période particulière où c’est difficile d’avoir confiance en soi et de se trouver quelqu’un de bien.

C’est en travaillant sur leur apparence physique qu’elles vont avoir l’impression d’ améliorer les choses et donc ça peut être un régime, ou d’autres obsessions peut-être d’activité physique aussi pour perdre du poids, pour avoir une meilleure esthétique.

Quand on voit déjà ces tendances associées à du perfectionnisme et du contrôle, c’est vrai que c’est un facteur de risque auquel il faut être particulièrement attentif et si possible agir assez vite avant qu’on observe une grande perte de poids. »

Une hyper sélectivité alimentaire (une forme d’orthorexie) et un régime qui tourne mal sont la porte d’entrée dans la maladie.

Les lecteurs de cet article ont aussi lu « chronique de livre : quand manger sain devient obsessionnel »

Témoignage de Natacha Guiller

« Il y a une obsession de la nourriture qui petit à petit va prendre tout l’espace de la pensée. Je supprimais carrément des repas et réduisait les quantités. (Il y avait aussi) abolir petit à petit des aliments et avoir aussi une hyperactivité accrue au quotidien, avoir toujours par la volonté de brûler ; tout ce qui était aussi ingurgiter. L’alimentation est devenue une solution de survie en fait face à toutes les choses du quotidien que je n’arrivais pas à surmonter autrement.  »

Témoignage de Noémie Latis (coach en santé à la clinique Belmont)

« J’ai commencé à souffrir de troubles du comportement alimentaire à l’âge de 13 ans. J’étais plutôt une enfant avec un léger surpoids. J’ai eu une maman qui avait aussi un certain excès de poids donc j’ai assez vite baigné dans les régimes.

Après un séjour aux Etats Unis, chez mes grands parents, j’avais pris pas mal de poids et j’ai décidé de me mettre au régime. Pour la certainement xx ème fois de ma vie.

Mais ce régime a, en tout cas au début, très bien fonctionné. Je me suis retrouvée de fil en aiguille à retirer des catégories d’aliments. J’avais dû commencer ce régime alimentaire aux alentours du mois d’août. Je me suis retrouvée le 24 décembre, la veille de mes 14 ans, hospitalisée. Je ne nourrissais plus du tout je ne m’hydratais plus.

J’avais quand même perdu 36 kg en quatre mois et demi. Au début, les gens quand ils m’ont vu perdre du poids c’était « clap clap clap bravo » , « regarde, magnifique  » et puis tout d’un coup de « clap clap » c’est devenu « mais qu’est ce que tu fais ? t’ai maigrissime, c’est terrifiant ». Et L’organisme à un moment donné ne capte plus rien. « 

Sabrina Palumbo

 » Je ne crois pas que les anorexiques ont spécialement envie de mourir. C’est plutôt de la difficulté de trouver sa place. On a envie de vivre mais autrement, on utilise la nourriture parce que c’est la seule chose qu’on peut encore contrôler. Donc elle pense qu’en contrôlant son poids, sa silhouette, elle ira mieux.

Evidemment, c’est un leurre : on contrôle au début et à un moment donné on ne contrôle plus rien et la maladie prend toute la place.

Natacha Guiller

« J’étais très très réservée, et très très mal dans les groupes sociaux. Une forme de disparition par le corps qui se réduit. C’est plutôt une forme de rétrécissement du corps qui étaient importantes dans le sens où, je prenais trop de place. « 

Sabrina Palumbo

« Chaque cas est différent. Chez moi, ou pourrait résumer par un régime qui tourne mal, c’est à dire un régime destiné à améliorer les performances sportives. Evidemment l’anorexie est bien plus complexe que ça. C’est une maladie multifactorielle. Il y avait certainement un terrain propice avec un perfectionnisme accru, avec des fragilités. Et moi j’ai dû faire face à des choses compliquées dans ma vie familiale également. Donc c’est l’ensemble de ces facteurs combinés.

Et puis à l’âge de 16 /17 ans, il y a eu ce régime qui a suivi en fait 2 ou 3 réflexions, du harcèlement scolaire également. Voilà, tous ces facteurs combinés ont fait que la maladie a pu s’installer mais sur un terrain non propice à la maladie elle ne s’installe pas. »

L’évolution de l’anorexie et les formes d’anorexia nervosa

Dr Alain Perroud

Le début de la maladie -appelé aussi lune de miel- est accompagné d’un sentiment de mieux être, de réussite, de succès tout à fait exaltant. Perdre du poids dans une société où c’est très recommandé, y parvenir alors que bien d’autres n’y parviennent pas, découvrir qu’on a cette capacité sur soi même de contrôler son alimentation et son poids dans un domaine où c’est très prisé par la société, donnent un effet exaltant.

Evidemment, petit à petit, la maladie va s’installer et le sentiment de contrôle va persister mais en fait la personne perd très vite la maîtrise de sa vie et de sa destinée. C’est la maladie qui commande ses actes et ses pensées mais ça, elle ne se rend pas compte. Souvent les patient(e)s gardent le souvenir exaltant de cette période où (ils) elles avaient le sentiment de se contrôler et de contrôler leur alimentation et de le faire mieux que les autres.

Natacha Guiller

« Il y a vraiment une inconscience de tout ce que l’on fait subir à notre propre corps, une violation du corps, une maltraitance inouïe.

La plupart des personnes ont des besoins vitaux comme manger, dormir, aller aux toilettes… Nous, on s’extrait en fait du besoin de manger et en fait on considère qu’on va aussi bien, voire mieux qu’eux, qu’on est plus léger, plus libre.

C’est un mécanisme de (« pseudo »)liberté, d’avoir vraiment une emprise sur le corps et de contrôler tout ce qu’on fait, tout ce qui entre et qui sort aussi. Et de pouvoir se passer quelque chose qui est autour nous semble une nécessité, est très très réglementé, avec des horaires, des regroupements sociaux, on est vraiment au dessus de tout ça.

C’est comme une observation « supérieure ».

Dr Alain Perroud

Même quand elles ont totalement perdu la maîtrise de leur vie, où c’est la maladie qui a une emprise extraordinaire sur elles, elles continuent à rêver de ce moment où c’étaient elles qui pilotaient, qui contrôlaient.

Natacha Guiller

Les mois passent, et si cela continue , il y a vraiment un basculement vers la grande souffrance que constitue cette maladie, les dégâts somatiques et notamment tous les dégâts que ça entraîne. On pense qu’on va arriver à revenir en arrière, mais il y a un moment donné où ce n’est plus possible en fait.

Dr Alain Perroud

Ce qu’il faut savoir, c’est qu’à partir d’un certain niveau de restriction alimentaire et une quantité de poids suffisamment importante perdue, alors s’enclenchent des processus qui vont rétro-agir sur la personne.

Vont finir par apparaître des phénomènes biologiques tout à fait particuliers et lorsqu’on perd du poids de manière sensible, on finit par perdre le contrôle de sa capacité à s’alimenter. Il y a des phénomènes curieux, on va dire anorexigènes, liés à la maigreur et plus vous avez réduit votre alimentation longtemps, plus il va être difficile de remanger, plus votre organisme va résister à l’alimentation. Par exemple, le transit se ralentit et manger aussi peu que ce soit va donner le sentiment d’être rassasié très vite donc il y a ensuite un effort supplémentaire pour s’alimenter efficacement à cause de la maigreur.

Sabrina Palumbo

 » Manger devient douloureux. Il y a la peur de manger, la peur de grossir, que dis-je, la terreur de manger, on en arrive à être terrorisé par la nourriture. »

Dr Alain Perroud

Au moment où une personne veut se ré-alimenter de façon plutôt rationnelle, non pas par crise, on a quand même un autre problème puisque l’organisme est extrêmement fragilisé par la maigreur et qu’au moment où on reprend une alimentation meilleure, plus riche, plus variée, il n’est pas tout à fait apte à le gérer de façon efficace.

Et la surcharge alimentaire peut entraîner des accidents de ré-alimentation avec parfois des troubles graves, des oedèmes des membres inférieurs, des troubles du rythme cardiaque , et heureusement très rarement le décès.

Donc, on est très prudent aussi dans cette phase de ré-alimentation.

Il y a une sorte de tension qui va apparaître entre le désir de se contrôler d’un côté et l’urgence à s’alimenter que l’organisme va communiquer à la personne.

Tension et équilibre précaire entre : désir de contrôler et urgence du corps à s'alimenter
Tension entre : désir de contrôler et urgence du corps à s’alimenter (photo Victor Freitas, Pexels)

Cet équilibre peut basculer d’un côté, comme de l’autre : dans les formes restrictives de la maladie, c’est le contrôle qui l’emporte définitivement et la personne reste très maigre ; dans le phénomène inverse, c’est l’organisme qui va reprendre le pouvoir par phases très aigues : ce sont des crises de boulimie qui vont apparaître (à peu près chez une personne sur deux) au bout de deux ans d’évolution en moyenne.

Equilibre précaire, bascule possible d'une forme restrictive à anorexie/boulimie
Equilibre précaire, bascule possible d’une forme restrictive à anorexie/boulimie (photo de Sora Shimazaki, Pexels)

Autrement dit, une partie non négligeable des personnes souffrant d’anorexie mentale vont se retrouver un jour l’autre avec des crises boulimiques surajoutées à leur trouble. On parle donc de deux types d’anorexie mentale : la forme restrictive pure et la forme avec crise et vomissements (anorexie/boulimie). Les deux ont une évolution diverse mais globalement, c’est la même maladie au bout d’un certain temps, les crises peuvent entraîner une reprise de poids. Quelque part, l’anorexie va guérir au profit de la boulimie ce qui n’est pas plus confortable à vivre loin s’en faut.

Natacha Guiller

 » il y a des moments où je m’éclipse : je suis avec quelqu’un, et il y a une heure ou c’est trop tard, il faut que j’aille me faire mes courses, que j’aille…j’ai ma soirée où durent 4 ou 5 heures de vomissements. Après je vais me coucher trop tard donc je serai trop fatiguée. Il y a toute une organisation interne que les gens ne soupçonnent plus parce que ça ne se voit plus physiquement, mais que moi j’anticipe à chaque fois de façon très très personnelle. Ma vie est réglée sur des formes de rituels en fait, sans quoi je ne vais pas bien en fait. Si on m’empêche de faire mes comportements déviants sur plusieurs heures, ou plusieurs jours, il y a un moment donné où je commence vraiment à péter les plombs, à être agressive. Donc, en fait c’est vraiment un comportement de personnes « addictes« .

Sabrina Palumbo

 » C’est des moments de compulsion alimentaire où on va manger à outrance et derrière il y a un comportement compensatoire, donc de purge : moi c’était les vomissements. J’ai continué à faire des crises au sein de l’hôpital en demandant à des patients : je leur donnais un peu d’argent pour qu’ils me ramènent de la nourriture de la cafétéria ou en leur demandant ce qu’ils pouvaient me mettre de côté de leurs repas. Et j’accumulais de la nourriture dans ma chambre et je faisais des crises dans ma chambre. Donc, au tout départ, j’ai connu la chambre double et même l’autre patiente, j’avais tendance à la manipuler pour qu’elle me donne ses fromages, ses desserts.

Je pense que l’équipe s’en est rendue compte. En tout cas, ce qui les a le plus alarmés, c’est que le poids continuait à chuter. Et je suis descendue au plus bas de cette hospitalisation à 27 kilos pour 1m 63.

Là j’étais réellement en danger. « 

Dr Alain Perroud

Les crises de boulimie sont vécues comme un danger par les patientes autant que par des équipes soignantes pour la raison que c’est une sorte d’avalanche de calories que l’organisme ne peut pas gérer. Et comme il y a des conduites de purge presque obligatoires juste après la crise, cela engendre une déperdition en sels minéraux, en nutriments mais aussi un déséquilibre hydro électrolytique extrêmement dangereux.

Chez une personne amaigrie présentant des crises et les vomissements, il y a donc un risque accru de perturbations hydro-électrolytiques et en particulier la chute du potassium qui peut entraîner un trouble cardiaque parfois mortel. Donc la crise est à la fois un accident qui pourrait sembler réparer la maigreur mais qui en fait aggrave le pronostic.

Combattre la maladie, c’est pour les victimes lutter contre l’ambivalence profonde qui les habite.

Ambivalence (image Pexels de Victor Santos)

Dr Alain Perroud

La personne souffrant d’anorexie mentale est tout en temps partagée entre son désir de guérir de son trouble et de sa peur de grossir.

Pour elle grossir, c’est avant tout une source d’angoisse : elle a en permanence ce dialogue, cette hésitation en elle : « je voudrais guérir de l’anorexie mais je veux pas prendre de poids, je voudrais sortir de cet enfer mais sans prendre un kilo ».

C’est la résolution de cette ambivalence qui permet d’avancer.

Natacha Guiller

« Finalement, il y a une grosse imposture intérieure dans le sens où j’ai des valeurs auxquelles je crois, et la maladie me fait faire l’inverse de ce en quoi je crois. J’ai une vraie démarche de recyclage écologique dans mon travail artistique, même dans mon assiette. Une volonté de recycler beaucoup les choses, de ramasser des aliments que les gens ne mangeront pas.

A côté de cela, il y a aussi un comportement excessif alimentaire où j’ai aussi consommé énormément d’alimentation, beaucoup plus qu’une personne qui mange des repas normaux. Parce que j’ai des compulsions nocturnes, toutes les nuits, où je mange pendant des heures pour vomir. Donc, un gaspillage énorme, et qui moi m’écoeure. Si on fait des calculs sur la semaine, le mois en terme de dépenses, d’heures passées, de quantité, c’est horrifiant.

Quand j’y pense, c’est d’une incohérence totale : à la fois, on se dégoûte, et à la fois on croit en des choses qu’on peut pas en fait appliquer parce que la maladie prend le dessus et vous fait faire l’inverse de ce en quoi on croit. Et ça c’est totalement déstabilisant. »

Les erreurs classiques des équipes soignantes lors d’anorexia nervosa

Dr Alain Perroud

Une erreur que je retrouve souvent dans le discours, et dans l’attitude : c’est de penser que ces personnes auront tendances, dans les soins, dans leur démarche, à ne pas être toujours sincère, à être des menteuses, perverses, même pour certains, manipulatrices, clivantes. Voilà tous les mots qu’on entend ici et là dans les équipes soignantes. J’aimerais insister sur ce point (essentiel) :

« il n’y existe pas de personnes clivantes face aux équipes de soins, il n’existe que des équipes clivables. Il n’existe pas de personnes manipulatrices, il n’y a que des équipes manipulables »

Quand un rapport de ce type là se développe entre une personne soignée et une équipe soignante, c’est à l’équipe de s’interroger : qu’est ce que nous avons fait pour obliger cette personne à nous mentir, à tenter de manipuler nos relations ? Nous induisons des comportements de résistance, de réactance, de duperie ou de tricherie chez ces personnes parce que nous avons des attentes démesurées par rapport à leur capacité de traitement et parce que nous avons des exigences de résultats qu’elles ne peuvent pas assumer.

Noémie Latis

 » ils partaient -les soignants- beaucoup aussi sur cette idée que : la maladie fait que vous mentez, vous trichez, vous ne dites pas la vérité.

Et l’amalgame est très vite fait de : « je suis une menteuse, je suis une tricheuse, je suis malade ». Et de se défaire ensuite, de se libérer de tous ces schémas, de toutes ces étiquettes qu’on nous pose et qu’on a déjà reçu aussi de notre famille parce qu’effectivement cette maladie pousse à la tricherie, aux mensonges. Mais que cela vienne du personnel soignant, ça rajoute tout un côté plus officiel à la chose.

Et ça, ça a été aussi très compliqué parce que ça pousse encore plus à être dans « non authenticité » finalement, si vous m’avez posé cette étiquette, eh bien, très bien je jouerai mon rôle comme il faut. »

Dr Alain Perroud

La personne se présente sous 2 jours (au sens de 2 facettes) : il y a elle même, l’individu lui même, son vécu ET puis il y a la maladie. Il ya des discours et des comportements qui lui appartiennent et des discours et des comportements qui sont ceux de la maladie.

Il faut savoir à qui on parle à tout moment.

Magali Volery

C’est quelque chose que nous on travaille en soins. Je sais distinguer la voix de la maladie (la voix de l’anorexie) et puis la voix de la patiente qui a envie de s’en sortir, qui a envie d’aller mieux, qui aimerait pouvoir faire ce qu’on attend d’elle. Cela permet à la personne de prendre de la distance aussi ,et d’avoir une capacité de discernement qui s’améliore par rapport à son trouble.

Donc, le fait de les mélanger et de considérer que cela fait une seule personne, c’est vraiment réduire la patiente à son trouble (ce qui occasionne une perte de chance).

Noémie Latis

« J’étais très naïve au début dans cette maladie, j’étais pas encore très performante (au sens de connaissance) dans la maladie. Ils (soignants) pouvaient me renvoyer : « ah, regarde, tu fais ça, c’est la maladie ; tu fais ça parce que tu veut dépenser encore plus d’énergie ». C’étaient des choses auxquelles je n’avais jamais pensé et à chaque fois qu’ils me disaient ça ,c’était (sous entendu, je me disais) : ah, très bien, si je fais ça, je vais dépenser plus d’énergie ; à partir d’aujourd’hui, je ferai ça. Ah ok, si je fais ça je vais encore plus maigrir, très bien, merci pour le tuyau, je vais faire ça. Donc en fait, cette chose qu’ils m’accusaient faire et en l’occurrence que je ne faisais pas, devenait pour moi un tuyau pour être encore plus malade. Je suis devenue une experte dans la maladie grâce -si on peut le dire comme ça-, à des réflexions que j’ai eues parce qu’on ne m’a pas fait confiance.« 

Alain Perroud

Faire confiance, être bienveillant, accepter que la personne ne fasse pas toujours exactement ce qu’elle dit qu’elle doit faire, et le vivre non pas comme étant une tentative de duperie ou de tricherie mais comme un comportement induit par sa maladie, qui lui est imposé par son trouble, c’est très important.

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Si vous êtes un proche aidant ou un membre de la famille d’une personne souffrant de TCA, ou bien que vous souffrez de TCA, je peux aussi vous conseiller de façon personnalisée.

Sources : Anorexia nervosa, primum non nocere, sur Dragon bleu TV

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Un commentaire sur « Documentaire « anorexia nervosa : primum non nocere » : comprendre la maladie »

  1. Merci à vous pour la richesse de ce contenu ! Tous ces témoignages peuvent faire énormément de bien aux personnes qui souffrent de troubles alimentaires voire plus… La compréhension des maux ne soigne pas mais elle rassure dans un premier temps… Merci encore !

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