LIEN VERS LA PREMIERE PARTIE DE L’EMISSION
LIEN VERS LA DEUXIEME PARTIE DE L’EMISSION
A travers les témoignages poignants de malades et de soignants en Europe, découvrons une enquête sensible sur l’énigme de l’anorexie, dont la prise en charge ne cesse d’évoluer, à travers des thérapies complémentaires, y compris familiales ou artistiques.
Le documentaire « Chère anorexie » diffusé sur Arte ce mois de juillet 2018 commence par trois témoignages qui introduisent les idées suivantes : « pas forcément l’idée de perfection du corps mais prise de contrôle ; on ne ressent pas nécessairement la faim, ressentir son corps qui s’amaigrit, envie de fermeté, sentiment très fort, accomplissement de la volonté, sentiment d’être vivant, concentré, intense ; parvenir à mieux penser comme si on était drogué ; sensation d’être complètement vide, qu’on ne veut pas lâcher ; contrôle du corps, on va vers l’enfer mais on y va ».
« Hier » on les considérait comme jeûneuse ou mystique au 15ème siècle, hystérique ou mélancolique au 19ème siècle ; aujourd’hui, on dit que les personnes atteintes d’anorexie, principalement des jeunes femmes, souffrent de TCA , ou Trouble du Comportement Alimentaire :
-A travers leur maigreur que nous disent elles ?
-De quels mécanismes sont elles prisonnières ? Parents, familles, amis et soignants sont face à une énigme.
On constate aussi que les garçons arrivent de plus en plus dans le circuit de soins.
Que sait on à ce jour de l’anorexie mentale ?
Comment est elle prise en charge, en France et en Europe?
L’anorexie, se caractérise par un profond trouble de l’image corporelle ; certains sortent vite de cet épisode, d’autres seront obligés de passer par hospitalisation. Lors d’anorexie, il y a une souffrance psychique très particulière de part l’atteinte du corps sévère ce qui n’est pas le cas dans d’autres affections psychiatriques. A une époque, il y avait des cas très sévères d’anorexie avec réanimations fréquentes, aujourd’hui c’est moins le cas. C’est une problématique du refus. Ce mécanisme est une façon de lutter contre une très profonde tristesse, une détresse, parfois latente depuis très longtemps. Un événement surgit souvent autour de l’adolescence empêchant l’individu de s’ouvrir aux autres qui déclenche la maladie. Il y a une remontée des affects de tristesse figés par le processus de l’anorexie
DIVERS PROPOS DE THÉRAPEUTES ET MALADES illustrent les sentiments de chacun :
- propos recueillis au CHU de Nice au cours d’une réunion de l’équipe soignante : une adolescente avait le sentiment même que d’inhaler les aliments lui faisait prendre du poids (abus sexuel). Cette adolescente présente beaucoup de TOC (troubles obsessionnels compulsifs) associés (2 h sous la douche en se passant de la crème amincissante, se frotte pour se faire maigrir). Elle éprouve aussi des difficultés d’endormissement, ressent le besoin de dormir avec sa mère ; la séparation liée à l’hospitalisation a permis une séparation d’avec la mère : certains soignants témoignent que la patiente est plus triste à l’ hôpital, en état de mal être.
- témoignages de deux parents : leur fille leur a présenté son dessin et a mentionné que l’explication était derrière « mon pantalon devient petit et moi je deviens plus grosse… »
Pour que la rencontre soignant/anorexique soit possible, il faut de longs mois de thérapie, de la patience, et un engagement soutenu par le personnel soignant.
- témoignage d’une soignante évoquant sa peur lors de soins d’un patient : un garçon souffrant d’anorexie restrictive et ayant rechuté était tellement maigre qu’il ne lui était pas possible de le regarder lors de la pesée ; elle constatait un signe critique : son haleine avec odeur d’acétone qui est un signe de gravité de la maladie ; ceci renvoyait la mort pour la soignante, ce qui l’angoissait ; elle espérait que le patient se rende compte qu’il était malade ; elle se stressait de penser que le patient ne se rende pas compte de son état de maigreur témoignant qu’il était vraiment malade, première phase pour commencer à accepter le soin. => il est nécessaire de se rendre compte de la maladie pour pouvoir se soigner
- patiente : « je n’avais pas conscience que c’était de l’anorexie, j’avais conscience d’un mal être mais difficile à exprimer. C’était la guerre pour que j’avale quelque chose ; j’étais prise dans quelque chose, une spirale, qui voulait que je sois complètement vide ».
- thérapeute, Docteur Brigitte Rémy, psychiatre : « il y a un déclic à un moment de la vie quand on entre dans la maladie et quand on en sort aussi ». Concernant l’ entrée dans la maladie, « par rapport à des blessures narcissiques, un idéal se construit dans la tête et le trouble du comportement alimentaire débute » ; suite à cela, il y a le « bénéfice » des endorphines et du cortisol qui inondent le corps ; ainsi l’euphorie vient assez vite : l’individu ressent une anesthésie et une atténuation du vécu douloureux connu depuis longtemps ; il éprouve aussi beaucoup de peur, n’a pas de confiance en la vie, ressent comme une menace interne.
- patiente : elle avait l’ idée d’effacement de la sexualisation du corps, ne voulait pas de rondeurs ; elle se donnait du temps en ne mangeant pas pour que cela n’apparaisse pas ; elle présentait un contexte d’insatisfaction permanent : toujours plus de travail, toujours plus de maigreur.
- en médecine, la NOSOGRAPHIE, c’est à dire la recherche de la cause, l’ anorexie est considérée comme une addiction sans drogue avec les mêmes composantes psychologiques que dans d’autres dépendances : manque de confiance en soi, d’estime de soi…
- patiente : « même la tisane était impossible » ; elle se souvient des mots durs, crus de son père pour la faire réagir. Elle trouvait l’hospitalisation débile pour « anorexie ». Un jour, au bout du rouleau, elle a accepté l’hospitalisation qu’elle avait refusée plusieurs fois lors de discussions avec le médecin traitant.
- patiente : « descente jusqu’à l’enfer » ; elle a le souvenir d’un point de non retour, comme un interdit d’avoir une vie normale. Un jour en passant devant une boulangerie, elle se dit qu’elle n’arriverait jamais à s’en sortir, qu’ elle représentait un poids incommensurable pour ses parents, qu’elle leur faisait vivre l’enfer, qu’il valait mieux qu’elle meurt. Elle fit une tentative de suicide médicamenteuse.
- psychiatre, professeur Philip Gorwood : l’anorexie mentale est la pathologie de laquelle on meurt le plus par suicide de tous les troubles psychiatriques (plus que la bipolarité, que l’ alcoolisme, que la schizophrénie) ; il s’agit d’un cercle vicieux avec le risque suicidaire le plus élevé : le malade ressent qu’il ne peut pas sortir de ce cercle vicieux, perçoit qu’il se trouve dans une impasse. Beaucoup de troubles physiques s’installent du fait de la perte de poids majeure ce qui amène aussi à des complications corporelles graves : perte de potassium, troubles du rythme cardiaque parfois mortel. Il faut évaluer tout le temps le risque suicidaire, le patient pensant qu’aucune sortie n’est possible sauf une issue fatale, ou constatant qu’il faut une prise en charge difficile et longue pour laquelle il est parfois impossible d’envisager un tel engagement.
NEUROBIOLOGIE : EFFETS DU JEUNE PROLONGE
Les recherches en neurobiologie s’affinent ces dernières années et permettent d’évaluer les effets du jeune prolongé : sentiment d’euphorie, perte de la sensation de faim.
Atrophié par les carences, le cerveau dysfonctionne : trouble de la perception de soi, hyperactivité, épuisement de la pensée et du corps.
Tous les systèmes sont atteints : cardio-vasculaire, hormonal, rénal, digestif, osseux, sanguin, cutané… La dénutrition conduit à l’épuisement de la pensée et du corps. Le cerveau reçoit beaucoup d’hormones comme les œstrogènes, la progestérone, la testostérone … La leptine, hormone très importante est sécrétée par les cellules graisseuses et le cerveau ; elle régule la faim et la sensation de satiété ; s’il n’y pas de assez de cellules graisseuses, le taux de leptine baisse et le corps se met à économiser (il est prêt à la famine) ce qui influence les organes centraux. Les extrémités deviennent froides, tout le métabolisme est atteint : la production de cellules immunitaire diminue ainsi que la division des cellules ; la baisse des taux d’œstrogènes entraîne la disparition des règles : ainsi il n’y a pas de gestation possible car elle serait dangereuse pour l’enfant et la mère ; l’ovulation s’interrompt : il s’agit d’un mécanisme intelligent du corps pour économiser mais cela entraine des inconvénients : l’ostéoporose. En effet, il n’y a plus assez d’œstrogènes pour stocker le calcium dans les os qui deviennent plus fins (risque de fracture accru).
TRAITEMENT, PRISE EN CHARGE
Il n’y a pas si longtemps, on hospitalisait en psychiatrie générale, au milieu de patients atteints de pathologies très lourdes ; c’est encore le cas parfois aujourd’hui. De nouveaux centres spécialisés ont vu le jour : il s’agit de services de psychiatrie pour adolescents anorexiques : selon les phases de la maladie, seront développés une approche psycho éducative, nutritionnelle , ainsi que l’apprentissage de comportements différents ; plus tard, un travail plus introspectif se fera. Il n’est plus grand monde pour affirmer qu’il n’y a qu’une grande vérité en matière d’anorexie, une façon unique de gérer ; les soignants partagent savoirs, doutes, et parfois impuissance…
4 PILIERS DE THÉRAPIE, professeur Beate Herperts Dalhmann :
1/normalisation du poids et du comportement alimentaire
2/entretiens psychologiques pour tenter de comprendre le schéma de leur trouble, quelle est leur histoire personnelle avec la maladie, que doit faire le patient dans le futur pour que histoire ne se répète pas.
3/rencontre et travail avec parents, thérapie familiale, de groupe, maladie expliquée aux parents ainsi que les troubles auxquels ils seront confrontés
4/gestion des autres troubles associés : dépression, TOC, autres problèmes psychiques nécessitant un traitement.
Quand le patient est mieux physiquement, il y a mise en place du processus psychothérapeutique.
La phase d’ACCEPTATION de la maladie est primordiale en thérapie, pour le malade, comme pour les thérapeutes : on doit accepter que les patients trouvent toujours des points positifs dans la maladie. A cette fin, il faut faire écrire aux patients deux lettres : la première commençant par « chère anorexie, tu es ma meilleure amie parce que…. » : l’ importance de la maladie est ainsi reconnue. La deuxième lettre débute par : « méchante anorexie, tu es ma pire ennemie parce que…. » ; elle permet au patient de conduite une réflexion sur la façon dont l’anorexie détruit sa vie.
NOSOGRAPHIE
Professeur Gustavo Pietropolli Charmet : les crises adolescentes les plus graves sont celles qui atteignent l’image du corps ; l’adolescent(e) est poussé(e) vers le narcissisme : il recherche la sympathie, la beauté, le succès social est très important pour lui /elle, il a besoin de reconnaissance. Le culte de l’image de soi fait que certains jeunes se sentent inadaptés, pas à la hauteur. Par conséquent, ils prennent certaines dispositions, modifient leur corps, l’effacent , le tuent car pour eux, le corps est responsable de l’échec. Ils ressentent l’incapacité d’affronter la condition humaine et cela se manifeste sur le corps ; nous sommes pris dans la société du narcissisme : les idéaux éthiques ont été remplacés par des idéaux esthétiques : c’est l’ère du culte de l’image.
Depuis plus d’un siècle, il y a un déplacement des interdits sexuels vers interdits alimentaires : réseaux sociaux prônant nouveaux régimes, fascination par les mannequins toujours plus maigres, sites pro ana ; on peut entrer dans l’anorexie comme on rentre en religion , et c’est le danger d’une bien mauvaise rencontre ; le risque atteint souvent les plus vulnérables, introvertis ; la plupart du temps, l’anorexie mentale fait écho à quelque chose d’autre, d’ancien, de douloureux, qui s’est mal passé, mal accordé.
patiente : « je dois prendre des décisions d’adulte dont l’idée qu’il faut tout contrôler pour être adulte » ; cela a impliqué des choix par rapport à la nourriture ; « je devais choisir des aliments que mange les adultes (café noir..) ; à cette époque, cette patiente a vécu la séparation de sa sœur jumelle. Elle restait en pension, solitaire. Ce fut une spirale descendante dans laquelle elle édictait des règles, qu’elle n’avait plus le droit de transgresser : » je me rendais compte de ce que je faisais mais je ne pouvais pas m’arrêter, c’était extrêmement dur ».
Professeur Maurice Corcos, psychiatre : le symptôme s’impose de manière inconsciente plus que consciente : une dimension émotionnelle majeure est à prendre en compte : ce n’est pas un besoin alimentaire mais affectif et il faut y répondre ; il n’y a pas UNE anorexie mais DES anorexies même si le comportement alimentaire homogénéise la personnalité (la personnalité est en cours de maturation à l’adolescence, comme de la pâte à modeler) ; derrière des personnalités très différentes, il y a avant tout une demande d’affection ; le malade sollicite l’attention de ses parents en les inquiétant de manière régressive en maigrissant (des contacts n’ont pas eu lieu, ou leur ont manqué dans les inter-relations précoces) ; cela fait écho à une période d’avant le langage (petit enfant) et peut refléter des souffrances familiales cachées, transgénérationnelles parfois ; c’est là que se jouent les transmissions psychiques inconscientes et les aléas de l’hérédité. Le Dr Corcos se remémore les paroles d’une patiente : « je vais mal, vous m’avez nourri, je vais me suicider ; je sens fourmiller sur mes jambes les varices de ma grand mère », un peu comme si la nourriture la laissait fantasmer d’un devenir.
Prise de conscience de la dure réalité de la vie :
Une patiente témoigne de « sa colère contre sa propre humanité », « je ne comprenais rien à la vie », elle pensait uniquement que « la vie est dure, il n’est pas possible d’être heureux, de s’exprimer ».
Psychiatre Maurice Corcos : il y a un dégout plus profond plus archaïque pour ce qui est graisse, ce qui est mou ; ceci remonte à leur histoire infantile où elles /ils ont connu des moments de mollesse, de passivité, « d’informe « car elles n’avaient pas de tuteur de développement qui pouvait les aider à avoir une forme, une tonicité ; elles/ils ne veulent pas revivre ces moments (de mollesse, de passivité, d’informe) connus dans des moments de terreur agonique primitive.
Dr Rémy : c’est un peu comme si à cet age de 2 ans, ces enfants, trop sensibles, trop intelligents, comme dans une quintessence de l’humain n’étaient pas outillés de façon assez « secure » et renforçante pour franchir des choses leur cœur léger ; l’ enfant reste collé à cette étape car la séparation individuation est trop difficile. Les individus souffrant d’anorexie doivent parfois aussi assumer des sensations sexuelles, assumer de se séparer et d’aller vers l’autre…
Longtemps, les mères d’anorexiques ont été désignées responsables de la maladie de leur fille ; des internements très violents pouvaient être pratiqués au nom des bienfaits de la séparation ; aujourd’hui, un autre abord est employé : il s’agit de rechercher de ce qui a pu se jouer dans leur jeune age ; on questionne et recherche les traces d’éventuels traumatismes : deuil , séparation, abus sexuels ; on mesure l’importance des thérapie individuelles et familiales et on évalue plus les conséquences de la séparation familiale.
psy : les parents sont parfois perdus dans la gestion du retour à la maison ; ils doivent faire face au sentiment du malade que la graisse est dégoutante et dangereuse comme si cela allait attaquer l’intérieur du corps ; ainsi l’agressivité des parents monte de part leur incompréhension, leur stress, leur peur que leur enfant meurt. Les parents doivent pourtant faire avec leur agressivité et se sentent coupables de ressentir cela.
séance de thérapie familiale à Nice au cours d’un entretien mère, fille, psychologue : pas encore beaucoup de progrès sur les mesures à changer à la maison par le diététicien, des habitudes sont ancrées mais il y a unestabilisation du poids par ailleurs. conseil de la psychologue : laisser faire, cela va venir, le poids est stabilisé, la mère doit laisser du temps à sa fille. La mère déplore toujours les problèmes au niveau de la nutrition mais finit par avouer qu’il y a des progrès du coté de la vie sociale de sa fille. La psychologue l’encourage à considérer les progrès et à lâcher du lest à sa fille, lui laisser de l’autonomie, lui laisser prendre son temps, d’avoir « envie ».
Une patiente se souvient de séances de thérapie familiale avec ses parents : ses parents étaient très exigeants avec eux mêmes ; leur fille naïvement pensait que ses parents étaient parfaits ; les parents ont dit à leur fille, comme un aveux, qu’ils n’étaient pas parfaits ; elle ne se sentait jamais à la hauteur de ses parents et en découvrant cela, elle s’est autorisée à ne plus essayer d’être aussi parfaite.
APPROCHE EN ITALIE
psychiatre Pr Pietropolli Charmet : fondamental de prendre en charge en même temps l’enfant, père, et mère : 3 consultants : un par personne en entretiens individuels et autonomes puis mise en commun ensuite, pour comprendre ce qui s’est passé et trouver les solutions. le contexte devient une ressource plutôt qu’un obstacle ; les parents ne sont pas tant responsables de ce qui s’est passé que responsable d’une relation avec leu enfant qui risque de maintenir le symptôme : on le voit bien dans l’anorexie : les mères d’anorexiques sont toutes les mêmes car la violence du symptôme force la mère à des comportements toujours semblables : elle est complice, ou garde du corps, ou bien espionne et contrôle ce qui aggrave les symptômes au lieu de les résoudre.
APPROCHE EN ANGLETERRE
Professeur Jean Treasure, Londres Maudsley Hospital
Ce qui m’a passionné est d’aider les parents, famille et amis à trouver, à apporter un soutien réalisable et acceptable pour les personnes malades depuis longtemps ; ce qui ne marche pas à l’hôpital, ne marche pas non plus à la maison ; nous avons eu des échanges nombreux sur ce que nous trouvons problématique et sur ce que les accompagnants trouvent problématique => les parents et familles sont mêmes formés ensemble en même temps que les infirmiers ! cela fonctionne très bien car ils ont les mêmes besoins et la même compréhension : l’idée de co thérapeutes est ici majeure.
« En tant que médecin, nous avons nos propres thérapeutes : nous avons aussi besoin de compréhension de nos propres émotions » ; certains aidants ont besoin d’aide individuellement pour gérer des choses du passé ; jusqu’à 30 % des patients adultes ont dans leur famille des personnes ayant des TCA.
PERSPECTIVE HISTORIQUE
Claude Fischler, socioanthropologue, retrace l’image du corps dans une PERSPECTIVE HISTORIQUE : ce qui est frappant en perspective historique est le changement de l’image du corps, des modèles corporels féminins depuis le 19e siècle ; libération du corset : jusque là, orthopédie de l’apparence corporelle : corset, faux cul : silhouette se pare des attributs nécessaires dans l’esprit du temps ; une fois ces accessoires retirés, le corps ensuite devient son propre corset : la femme devient la seule responsable de son apparent : le comportent alimentaire devient garant suprême du résultat souhaité : ce la devient une affaire individuelle et personnelle de tous les instants : construction ou répression permanente selon les personnalités : il y a un idéal que chacun cherche à atteindre et qui n’est pas forcément accessible.
DÉMONSTRATION DE LA DYSMORPHOPHOBIE :
Aix la chapelle, hôpital universitaire : atelier dessin et atelier corporel : une patient fait le tour de son bassin avec une cordelette et compare ensuite avec le bassin qu’elle s’imagine avoir en le dessinant au préalable : cela occasionne une prise de conscience mais elle a du mal à le croire.
avis d’un pédopsychiatre Dr Jochen Seitz : le trouble de l’image corporelle dont souffre les patientes est un mystère ds la recherche sur l’anorexie ; jusqu’à présent personne ne peut démontrer d’où cela vient et comment cela fonctionne ; mais avecl’ imagerie médicale (irm), on a pu prouver que des zones sont responsables de la perception de soi et de l’ image corporelle ; avec une amélioration des symptômes, les zones activées dans le cerveau se modifient ; il faudrait trouver un médicament qui les aide à lutter contre la peur de grossir mais on est encore très loin de cela. Le seul médicament est la prise de poids pour le moment : manger est le seul médicament disponible!
Dr Beate Herperts Dalhmann
Les thérapeutes disent aux patients de manger à l’hôpital et à la maison. Quant à la transition, des sorties en groupe (marché de Noël…) avant la sortie définitive sont importantes : elles permettent de créer du lien social et d’évaluer leur comportement alimentaire en dehors de l’hôpital. Ces sorties permettent d’appréhender un retour à la vie normale au lieu de rester confiné dans la vie artificielle de l’hôpital.
Bordeaux, pôle aquitain de l’adolescence : dans l’alliance recherchée avec les jeunes filles , on peut proposer des ateliers de médiation corporelle, des ateliers artistiques : atelier danse, modelage, dessin, modelage, massage, soins esthétiques : qu’enfin ce corps s’autorise à vivre et exprimer des émotions oubliées!
exemple d’un atelier silhouette : contours du corps patient allongé sur grande feuille de papier, puis le patient se lève ; ensuite on lui propose de repasser en rouge les zones où elle/il a peur de stocker gras (hanches, cuisse, ventre) ; puis le patient travaille sur ces zones là.
LA TYRANNIE DE L’ANOREXIE, LA PETITE VOIX
témoignage d’une patiente : l’anorexie mentale te prend toute entière, te prend tout ce que tu possèdes, te kidnappe tout, ton travail , ta pratique artistique ; on est immergé, l’anorexie te vole tout : amis , relations, santé ; l’anorexie est avide, elle te vole le sommeil ; « je ne dormais pas, j’étais a fond dans mon travail cette dernière année de mon diplôme : comme si cela s’écoulait or de moi ». « Cela m’a pris du temps pour mesurer la tyrannie de l’anorexie mentale ; a pu illustrer cela dans ses dessins ; chez moi il y avait cette voix comme si une créature vivait ds sa tête ; les autres avaient beau essayer de me persuader, la voix la plus puissante, la plus forte, la plus grosse était cette voix intérieure : cette voix me mentait pour empêcher d’entendre réellement ce qu’on me disait.
Le psychiatre Maurice Corcos évoque le » dictateur interne malveillant » (dont parlent aussi de nombreux malades), et qui dicte la conduite alimentaire ; le malade doit s’interroger sur qui est ce dictateur : le sujet (= sa conscience morale) OU le surmoi de Freud cruel sadique ou bienveillant selon les personnes, qu’on a tous à l’intérieur de nous ; chacun d’entre nous est plus ou moins névrosé ; le surmoi malveillant est issu de notre environnement, de notre éducation : il faut demander au surmoi de s’expliquer : pourquoi est il malveillant, intrusif, pourquoi il ne s’autorise pas à la tendresse ? En effet, dans quelle famille n’y a t il pas quelque chose qui bute, un manque parce que quelque chose n’ a pas été échangé ? Le patient doit en prendre la mesure sinon cela va se transmettre de génération en génération.
LE PRONOSTIC :
PARIS, hôpital Saint Anne , professeur Philipp Gorwood
1/3 guérissent : forme pas trop précoce : 17/18 ans, forme peu sévères, peu co-morbides
1/3 : amélioration franche, quelques symptômes résiduels gênants, mais les patients peuvent vivre avec .
1/3 restent en difficultés
Le traumatisme de l’hospitalisation peut permettre d’avancer : d’après le psychiatre Dr Gorwood, l’hospitalisation représente souvent un vécu est très douloureux : l’ hospitalisation est vécue comme un traumatisme, cela permet d’avancer, de poser les armes : c’est difficile, douloureux, c’est une pathologie grave ; les traitements doivent aussi « graves » : intrusifs, douloureux , stressants.
dialogue patiente/thérapeute : propos de la patiente : le nouveau corps permet de vivre, de donner la vie, avoir des relations sexuelles ; mais le patient ressent une grande ambivalence : dur d’accepter, ce nouveau corps fait peur.
témoignage d’une ancienne anorexique : elle avait besoin de maitrise, de repères, de toucher ses os ; pour elle, l’hospitalisation ne lui a pas permis d’avancer car elle respectait le contrat de poids pendant l’hospitalisation (mais le travail de fond ne s’est pas fait), puis dès la sortie, elle a reperdu tout son poids : cela s’est enchainé ainsi pendant 12 ans ; elle ne pensait pas pouvoir vivre sans la maladie, semblait comme en fusion avec la maladie ; elle avait l’impression qu’elle pouvait gérer plein de choses que les gens n’arrivent pas à gérer : elle éprouvait cette sensation de supériorité avec l’ estomac vide tout le temps.
FORME ANOREXIE BOULIMIE
Un autre versant de la maladie est l’ alternance restriction alimentaire /crise de boulimie : le malade a l’ impression que son corps est comme un tube qu’il faut remplir et vider constamment, par tous les moyens. Quand le patient mange, il ressent une terrible culpabilité, insupportable menant aux vomissements. La boulimie s’installe parfois après l’anorexie car il y a eu tellement de privation avant, « on se remplit dans l’opulence totale comme pour se salir et se re -nettoyer ensuite ». Ce comportement très difficile à faire disparaitre selon le Dr Gorwood : la frénésie alimentaire est une addiction sévère pour laquelle il faut faire un sevrage et une mise à distance ; un entretien « motivationnel » et les techniques de prise en charge utilisées en addictologie marchent plus bien dans cette forme de TCA.
LA MINCEUR, MODÈLE SOCIAL MODERNE ET CONSUMÉRISME
Claude Fischler : socioanthropologue : l’alimentation n’a jamais été du ressort de l’individu, c’est une invention récente ; que l’individu soit appelé à regarder les recommandations nutritionnelles : « pas trop de ceci un peu de cela » représente de nouvelles sollicitations absurdes : c’est le fantasme de l’alimentation moderne ; dans ce contexte, le problème n’est pas la régulation excessive, c’est difficile de supporter la responsabilisation de l’individu : l’anorexie ou la boulimie commence souvent par une affaire de régime : l’individu fait des choix alimentaires => la mondialisation est venue croiser le chemin de Narcisse ; les spécificités culturelles s’estompent, les standards s’uniformisent ; les pays très pauvres (où sévit la famine) ne connaissent pas l’anorexie. Alors que dans les pays développés ou en voie de développement, il y a une augmentation très importante de l’anorexie mentale, comme un effet pervers d’un consumérisme débridé.
Professeur Oltea Joga, psychologue : L’anorexie mentale peut venir quand on se préoccupe trop de son aspect physique
Comment se comporte l’anorexie dans les pays post communistes? Il y a l’ influence des rôles sociaux, l’inflation des nouveaux médias, le rôle des femmes. Sur ce dernier point, avant 1990, la femme devait être compétente et compétitive mais il n’y avait pas encore la pression d’un corps mince. Après 1990, s’est ajoutée cette injonction d’avoir un corps mince pour pouvoir s’affirmer dans ce monde social, pour accéder un niveau social, plaire aux autres ; le corps devient un lancement social. En ce sens, une jeune fille témoigne d’être sure qu’à 16 ans, elle a été influencée par la société (boutiques, photos à la TV et sur internet) : elle ne voyait que des filles minces ; comme elle était une fille ambitieuse, elle s’est alors fixé un seul objectif : perdre du poids. Elle a donc commencé un régime, choix controversé par son père mais soutenu par la mère au départ.
Selon le Pr Oltea Joga, la diète est devenue une obsession sociale, un modèle sociétal, emprunt d’un conformisme terrible ; chaque année, un nouveau régime sort ; certaines arrivent à un poids critique. Comme en témoigne la jeune Catalina ayant souffert d’anorexie, les réactions de l’entourage encensaient sa perte de poids, ses proches étaient impressionnés par sa détermination : elle s’est sentie plus aimée, congratulée… et a eu peur de reprendre du poids ensuite. Catalina s’est sentie poussée à être toujours plus stricte avec elle même (elle a perdu 24 kg en un an)…
LE JUSTE EMPLOI DES TERMES « crise », « troubles du comportement alimentaire », « maladie »
Pour le Pr Oltea Joga, il faut essayer dans la majorité des cas de sortir rapidement le patient du rôle de malade, et plutôt lui parler de crise passagère. Par contre, en cas de risque vital, le terme de maladie est réellement employé. Le Dr Joga dit à la jeune Catalina : « tu risques de mourir, à toi de juger ». Certains malades ont très peur, et cela les angoisse encore plus ; d’autre réagissent, ce fut le cas de Catalina. Catalina (ancienne anorexique) ne croit pas que l’anorexie soit forcément d’origine psychiatrique, cela dépend des patients : cet état peut être une crise passagère, mais en cas de co-morbidité, traumatisme grave, cela bascule vers une maladie plus formelle, plus installée.
Dr Rémy : de plus en plus, on ne parle plus de guérison car cela sous entend « maladie » : on l’utilise surtout quand la personne est en danger vital ; on aime mieux parler de trouble, de lâcher un fonctionnement, de quitter l’idéal anorexique ; il s’agit de s’appuyer sur ces ressources personnelles d’un être qui au fond a tout le potentiel. Une patiente, témoigne de son déclic en parlant avec une jeune psychologue russe : elle a vécu la maladie de sa mère pendant 10 ans (soit dès l’âge de ses 1 an) ; sa mère est décédée quand elle avait 11 ans ; elle a souffert d’anorexie pendant 12 ans, et de ce fait, a été malade plus longtemps que sa mère ; elle a purgé sa peine (culpabilité de la maladie et de la mort de sa mère) puis s’en est sortie suite à cette discussion (sentiment de soulagement, libération : » je devais vivre pour moi, vivre pour elle, c’était possible de s’en sortir »).
CONCLUSION :
Les anorexies gardent à ce jour leur part d’ombre et témoignent de l’impossibilité de séparer le corps de l’esprit. Petit à petit, les soins progressent à la jonction entre somatique et psychique ; au fil d’un long travail thérapeutique, ou dans une rencontre imprévue avec la vie, viendra pour celles et ceux qui le peuvent le moment où le patient peut se poser la question : qui suis je sans l’anorexie mentale?
Selon une « ancienne » anorexique, le terme de « guérison » est difficile à employer, c’est comme alcoolisme : on ne boit plus mais on vit avec des tentations ; pour elle, la personne ayant souffert d’anorexie a encore quelques « strates » auxquelles elle s’accroche car cela fait partie de son identité. Parfois cela va bien, parfois, moins bien. Cela va bien si on est conscient qu’il ne faut pas redescendre en dessous d’un certain seuil car il y a trop à perdre, pas seulement le poids, mais tout le reste. Parfois cela va moins bien parce que le « lâcher prise » est beaucoup plus ancré dans le psychique que dans le physique.