« Ce que j’aurais aimé entendre lorsque j’étais malade « , témoignage de Marie Verger

Marie a lutté pendant quatre ans contre ses troubles du comportement alimentaire. Dans cette lettre ouverte, elle a voulu retranscrire tout ce qu’elle aurait eu besoin d’entendre lorsqu’elle était malade. Car non, l’anorexie et la boulimie ne sont pas des « caprices de petite fille qui refuse de manger ».

Jusqu’à ce que je tombe moi-même malade, je pensais que les troubles du comportement alimentaire n’arrivaient qu’aux autres. Puis, j’ai pensé que je ne pourrais jamais guérir. L’une de mes amies est décédée à 20 ans suite à des complications liées à cette maladie. J’ai vu des patientes se faire ré-hospitalisées de nombreuses fois et lu de nombreux témoignages à propos de personnes qui n’ont jamais pu guérir. A ce moment-là, j’aurais préféré qu’on me crie : « Oui, c’est possible, tu peux t’en sortir ! ». Maintenant, c’est à mon tour de crier cette phrase aux malades. Je veux leur faire comprendre qu’elles/ils ne sont pas fous, comme je pensais l’être avant de rencontrer d’autres patientes. Cette lettre ouverte est également à destination de tous ceux qui voient l’anorexie comme un « caprice de petite fille qui refuse de manger. »

« S’il-te-plaît, prends soin de toi et de ton entourage »

On ne réalise pas immédiatement qu’on est malade lorsqu’on commence à plonger dans l’anorexie. On a parfois besoin de beaucoup de temps et de l’aide de notre entourage. Durant plusieurs longs mois, je me suis prise la tête avec mes parents. Ils insistaient, ils me disaient que j’avais un problème et que j’avais besoin d’être aidée. Je répétais que j’avais le contrôle. J’y croyais vraiment. Je voulais perdre du poids et je le faisais.

Un jour, mes parents m’ont proposé un deal : « Si tu peux faire tout ce que tu veux, prouve-nous que tu peux reprendre du poids et on te laissera tranquille. » Cela n’a pas marché comme je pensais. En réalité, je n’avais en réalité aucun contrôle sur mon corps. C’était plutôt ce contrôle qui me possédait. Si tu vois quelqu’un s’enfoncer dans les troubles du comportement alimentaire, s’il-te-plaît, aide-le à ouvrir les yeux. Les médecins ont dit à mes parents que j’avais eu de la chance qu’ils l’aient remarqué assez tôt. Plus tôt on commence à prendre en charge la maladie, plus on a de chances de s’en sortir. Évidemment, il est impossible de commencer à se battre contre la maladie en étant persuadé d’être sain.e et d’avoir tout sous contrôle.

« Le problème n’est pas ton poids »

Moins je mangeais, plus j’étais dégoûtée par la nourriture et par son odeur. Plus je perdais de poids, plus j’avais besoin de perdre de poids. Ce n’était jamais assez. Je me sentais toujours trop grosse. Lorsque j’atteignais mon objectif de poids, je m’en fixais immédiatement un nouveau, toujours plus bas. Je pinçais mon corps, à la recherche de la moindre trace de gras. Cela ne s’arrêtait plus : il est impossible d’atteindre un objectif qui évolue en permanence. Se figurer ce paradoxe est très compliqué lorsqu’on est malade. Mais une fois que tu l’as compris, tu peux enfin réaliser que le problème n’est pas ton poids mais ta maladie mentale.

« Ne me dis pas que je n’avais qu’à manger » »

Je sais que certaines personnes en sont persuadées. Ça m’horripile. S' »il suffisait de manger », je suppose qu’on serait nombreuses et nombreux à l’avoir fait avant d’être hospitalisé.e.s ou avant de mourir. Il n’y a pas que la nourriture qui est en jeu, il y a aussi la haine de soi. J’avais l’impression d’avoir constamment deux voix dans ma tête. Une m’affirmait que je devais stopper cette maladie, l’autre m’y enfonçait encore plus. J’avais froid tout le temps, j’avais mal au ventre, j’ai arrêté d’avoir mes règles, j’ai perdu beaucoup de cheveux, j’avais des crampes et la tête qui tourne.

Mais le pire se passait dans ma tête. Quand je sentais que mon corps était faible, une partie de moi me disait : « C’est bien, ça veut dire que tu le pousses à bout ». Lorsque je me forçais à manger, une voix m’encourageait parfois : « C’est bien tu te rapproches de la guérison ». Une autre me répétait : « Tu es dégoûtante, tu devrais avoir honte, tu t’éloignes de ton objectif. Ton objectif est de perdre du poids ! »

Je recherchais un moyen d’éliminer les calories en même temps que je les ingurgitais. Je pensais que j’étais folle en me battant contre moi-même, avec ces deux voix incompatibles dans ma tête. Il m’arrivait de ne plus savoir contre quoi et pour quoi je me battais. J’avais le sentiment que si mon corps avait assez d’énergie pour être en bonne santé, cela rendrait mon esprit encore plus malade, malade de honte. Comme si mon corps et mon esprit étaient deux entités complètement distinctes et qu’elles ne pourraient jamais se sentir bien en même temps. J’avais honte de mon corps. Si je gagnais du poids, je me sentais imprésentable. Après avoir réussi à manger, ne serait-ce qu’un peu, je ne pouvais penser à rien d’autre que ce que je venais d’avaler, comment je devais le dépenser et à ces sentiments de dégoût et de haine envers moi-même. Cela prenait toute la place dans mon esprit. Quand tu es en colère contre une personne, tu as la possibilité de la confronter pour extérioriser, ou du moins de limiter le contact. Le problème quand tu te hais est que tu ne peux pas t’échapper de toi-même. Je détestais mon corps et j’étais bloquée à l’intérieur de celui-ci.

« Ce n’est pas toi qui as le contrôle »

La maladie me poussait à « garder le contrôle sur mon corps », mais en réalité je n’en avais aucun. Lorsque je gagnais un peu de poids, même si ce n’étaient que quelques grammes, mes ongles s’enfonçaient dans ma peau et mes jambes s’agitaient frénétiquement, comme si elles voulaient s’éloigner de mon corps. Je ne pouvais pas penser à autre chose qu’à : mon poids, comment perdre des calories, les excuses que j’allais utiliser pour sauter les repas, le poids qui s’afficherait sur la balance la prochaine fois que je monterai dessus. Je faisais des cauchemars à propos de la nourriture.

Le matin, le chiffre affiché sur la balance déterminait l’ensemble de ma journée. Exemples parmi tant d’autres : je ne m’asseyais dans le couloir avec les autres élèves car rester debout me permettait de brûler plus de calories. Je refusais de sortir avec mes meilleur.e.s ami.e.s car je savais qu’à un moment de la journée, ils allaient vouloir manger. La maladie ne faisait pas partie de ma vie, la maladie était ma vie. Si tu as vraiment le contrôle, tu devrais être capable de vivre sans tout calculer par rapport à ton poids.

« L’anorexie te ment »

Quand des personnes me touchaient, même pour quelques secondes, je me demandais, inquiète : « Est-ce qu’ils ont senti mon gras ? ». J’avais peur qu’on me regarde, j’avais honte. Je pensais qu’ils examinaient à quel point j’étais grosse. Maintenant je comprends que c’était le contrôle : ils me regardaient parce que j’étais anormalement maigre.

« L’hôpital craint mais peut aussi te sauver »

J’ai été hospitalisée contre mon gré dans un centre spécialisé dans le traitement des troubles de conduite alimentaires Je me suis enfuie au bout d’un mois. Je ne pouvais ni voir ni parler avec ma famille ou mes ami.e.s. Les infirmier.e.s ont pris mon téléphone. Je pouvais écrire des lettres, mais pas en recevoir. Je ne pouvais pas jouer de la musique, je ne pouvais pas sortir. Ils m’ont même confisqué mes livres scolaires. Tout était lié au contrat de poids déterminé par le médecin. Les infirmier.e.s me posaient énormément de questions. J’avais l’impression qu’en plus de me changer physiquement, ils cherchaient à me changer psychologiquement. Ils voulaient me donner des médicaments pour m’aider à me détendre. Je refusais, pensant qu’ils voulaient me shooter. C’était la pire période de ma vie. Cependant, certaines personnes, hospitalisées au même endroit que moi, affirment que sans cet endroit, elles ne seraient probablement plus en vie. Quant à moi, j’avais si peur d’y retourner que cela m’a motivée pour guérir.

« Tu n’es pas seule »

Pour mes proches qui ne souffraient pas de troubles de comportement alimentaire, il était extrêmement compliqué d’arriver à me comprendre. A l’hôpital, j’ai vu d’autres malades. J’ai finalement rencontré des personnes qui me comprenaient. C’était la confirmation que je n’étais ni seule, ni folle. Avec certaines on s’est promis qu’on serait toujours là les unes pour les autres. « Toujours » est un bien grand mot, mais dans ma tête je ne voyais pas d’autres possibilités. Leur courage me boostait. Parfois, je me disais : « Elles essaient très fort de s’en sortir, je ne devrais pas abandonner. Si je peux m’en sortir, je vais le faire. »

« Prends la boulimie au sérieux »

Globalement, les gens semblent être plus informés au sujet de l’anorexie que de la boulimie. Les deux maladies peuvent faire énormément de mal. J’ai commencé à faire des crises de boulimie après mon hospitalisation. Je pouvais avaler le contenu entier du placard de petit déjeuner familial, assise sur le sol. Je n’avais même pas le temps de finir d’avaler que ma main plongeait de nouveau dans le paquet. Mon esprit me hurlait d’arrêter mais je n’y arrivais pas, jusqu’à avoir mal au ventre ou que quelqu’un entre dans la pièce. J’ai commencé à me faire vomir. Je pouvais faire des crises et vomir plusieurs fois par jour. J’avais tellement honte de moi. Je ne voulais pas manger, cela ne me procurait aucun plaisir mais je ne pouvais pas me contrôler.

Parfois, alors que j’essayais d’éviter une nouvelle crise, je tournais en rond dans la cuisine, en ouvrant et fermant les placards de nourriture, encore et encore. Les crises de boulimie et les périodes de jeûne s’alternaient. A ce moment là, je pensais que jeûner était l’unique moyen d’être libre. Libre de penser à autre chose que ce à quoi je venais de manger. Libre de penser à autre chose qu’à vomir le plus vite possible, quels que soient le moment et le lieu. Libre du duel « c’est bien – non c’est une honte » qui avait lieu dans ma tête presque à chaque fois que je mangeais quelque chose. Libre du risque de faire une autre crise de boulimie. Libre de faire autre chose que manger et vomir. C’était une fausse liberté, encore ce faux sentiment de contrôle. Ce coup-ci, plus je me restreignais, plus mon corps me demandait de la nourriture, des réserves, ce qui provoquait des crises de boulimie. Se restreindre n’est pas une solution. La nourriture est essentielle pour survivre. La guérison est essentielle pour vivre.

« Fais attention à tes commentaires »

Quand j’ai commencé à reprendre du poids, j’avais l’impression de recevoir un coup à chaque fois qu’une personne me disait : « Tu as l’air d’aller mieux ! ». Pour eux, c’était sans doute un compliment mais je le recevais comme une insulte. J’avais l’impression que c’était une manière de me dire que j’avais gagné du poids et que c’était flagrant. Les personnes qui souffrent de trouble du comportement alimentaire n’ont pas nécessairement l’air maigre, d’autant plus si elles sont boulimiques. Quand un.e anorexique reprend du poids, cela ne veut pas dire qu’elle/il est guéri.e. Le corps n’est pas le seul qui doit guérir, l’esprit doit aussi le faire et le chemin est long.

Lorsque j’essayais de me forcer à manger, la pression était encore plus forte lorsque des personnes me regardaient ou commentaient mes progrès. Je me créais déjà suffisamment de pression toute seule, pas besoin d’en rajouter. Entendre « Oh, tu as mis de la sauce dans ta salade aujourd’hui ! » rend juste les choses plus difficiles. S’il-te-plaît, ne te moque pas du poids d’un.e autre. N’encourage personne à perdre du poids. Pour moi, les troubles du comportement alimentaire ont commencé après un régime. Il m’a fallu plusieurs années pour en guérir.

« Tu peux en mourir »

Je le savais mais je ne voulais pas y croire, jusqu’à ce que mon amie meure. Elle voulait vivre mais elle était devenue trop faible. Fais attention, vraiment.

« Tu peux t’en sortir, je te le promets »

Je me suis battue contre les troubles du comportement alimentaire pendant quatre ans. Je pensais que je pourrais jamais être guérie. Je me suis enfuie de l’hôpital en pensant que je n’arriverais jamais à atteindre l’objectif de poids déterminé par le médecin et que je resterais donc enfermée pour le restant de mes jours. Je me suis sentie vraiment impuissante et il m’est arrivé de penser à mourir. Je voulais m’affamer à mort pour garder cette fausse impression de contrôle. J’avais l’impression que si je ne le faisais pas, si je gagnais du poids : la maladie me tuerait mentalement. Je pensais que je ne comprendrais plus jamais ce que c’est de marcher sans penser aux calories brûlées ; ou de manger par plaisir et non pas avec honte et à cause des crises de boulimie. J’ai eu des hauts et des bas pendant quatre ans. J’ai cru que cela s’arrêterait jamais. Mais ça c’est arrêté. S’il-te-plaît, n’abandonne jamais. Cela peut prendre du temps mais je te le promets : ça vaut le coup.

« N’aie pas peur de guérir »

A un moment, je pensais que si je laissais l’anorexie s’en allait, je n’aurais plus aucun but. L’anorexie a occupé toutes mes pensées pendant longtemps. Elle me ‘guidait’ et dirigeait toutes mes journées. J’avais peur de me sentir vide. Pas « vide » sans nourriture, mais sans sens, sans guide. Je n’arrivais pas à me souvenir de ma vie avant la maladie. Maintenant je peux te l’affirmer : il y a énormément de moyens de profiter de la vie quand on est en bonne santé.

Marie Verger

Ce témoignage a été publié par le site Terrafemina, cliquez ici pour un accès direct

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