L’annonce du diagnostic de la maladie de mon fils début juillet 2017 fut un véritable coup de massue : il souffrait d’anorexie mentale pré-pubère. Quelle était cette maladie étrange?
Après une phase de stupeur de courte durée, je n’avais pas le temps de m’appesantir sur ma douleur. Il fallait comprendre vite et bien de quoi il s’agissait. Mon fils était en danger de mort. Les parents ont des ressources insoupçonnées quand il est question de la survie de leur progéniture, en dehors de tout contexte pathologique dans la relation parent-enfant. Qui d’autre qu’un parent pouvait livrer une bataille corps et âme contre cette maladie?
Je me mettais immédiatement à effectuer des recherches, et dois bien admettre que lorsque l’on sait trier des informations de qualité sur internet, cela peut être salvateur.
J’ai glané de nombreux textes scientifiques dont un ouvrage majeur qui me permit rapidement de cerner l’anorexie mentale pré-pubère. Etant médecin moi même, mais pour les animaux, ayant moi même soutenu une thèse de doctorat, le jargon médical m’était parfaitement familier. Ceci m’a surement beaucoup aidée à entrer dans la lutte active et engagée aux côtés des médecins, pédopsychiatres, infirmiers et aide-soignants, du moins ceux qui m’ont laissé faire et m’impliquer. En effet, je me suis heurtée initialement à une équipe usant malheureusement de méthodes désuètes, séparant l’enfant de ses parents (avec restriction drastique des horaires de visite). Dans un deuxième temps d’hospitalisation, au sein d’une équipe spécialisée impliquant la famille de façon active dans les soins, la prise en charge fut beaucoup plus efficace sur le plan psychique. J’aurai l’occasion de revenir largement sur cet aspect avec un des livres du Dr Cook Darzens.
J’en reviens à ma première lecture m’ayant permis de comprendre l’anorexie mentale prépubère : Voici le lien vers cet ouvrage ; il s’agit d’une thèse de doctorat de Madame Béatrice Safrano-Adenet intitulé : Anorexie mentale pré-pubère et familles : approches génétique et environnementale
https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01062866/document
Cette thèse aidera ceux qui souhaitent obtenir des informations scientifiques circonstanciées sur cette forme particulièrement grave qu’est l’anorexie mentale pré-pubère (avec 250 références bibliographiques scientifiques). Je remercie chaleureusement le Dr Safrano-Adenet pour ce travail colossal contribuant à améliorer substantiellement la compréhension de l’anorexie mentale pré-pubère.
Je découvris, au travers de la bibliographie de cette thèse, le nom de trois éminents spécialistes français très pointus dans la compréhension et prise en charge de l’anorexie mentale :
-Le Professeur Philippe Jeammet : Philippe Jeammet est un pédopsychiatre, professeur des universités – praticien hospitalier (PU-PH) émérite de psychiatrie et psychanalyste français. Il est spécialiste de l’enfant et de l’adolescent, notamment des troubles du comportement chez les jeunes et auteur de nombreux ouvrages sur ce sujet.
-le Docteur Solange Cook -Darzens : docteur en psychologie, psychologue clinicienne et thérapeute familiale. Elle a été co-responsable du l’Unité des troubles du comportement alimentaire, service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent au CHU Robert Debré à Paris.
-le Docteur Marie France Le Heuzé, médecin psychiatre, CHU Robert Debré à Paris
J’aurai l’occasion de revenir très largement sur ces trois spécialistes dans d’autres articles de mon site.
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L’ANOREXIE MENTALE PRE PUBERE en RESUME :
Etiopathogénie
C’est une forme d’anorexie mentale qui interroge quant aux mécanismes qui conduisent de jeunes enfants à souffrir de troubles du comportement alimentaire en général très marqués. Cette forme semble être en augmentation ces dernières années et affecte des enfants de plus en plus jeunes.
Cela implique de percer les mécanismes psychologiques et physiques qui sous-tendent cette maladie puisque la tranche d’âge concernée (pré pubère) n’est pas encore entrée dans la métamorphose physique et psychique de l’adolescence. Ainsi, il ne s’agit plus de considérer l’anorexie mentale comme une maladie typique de l’adolescence dans les sociétés occidentales modernes.
Dès lors, la recherche médicale se doit de continuer à explorer l’implication de facteurs génétiques, familiaux et environnementaux dans l’anorexie mentale.
Epidémiologie
Au niveau épidémiologique, environ 8 % des cas d’anorexie mentale débuteraient avant 10 ans. L’incidence (nombre de nouveaux cas pendant une période donnée exprimée en X pour 100 000 personnes) globale pour les conduites alimentaires restrictives précoces (5-12 ans) est de 2.6 à 3 (selon les études) pour 100 000 personnes par an. Jusqu’à 61 % des patients hospitalisés (78 % du total) présentaient des complications de malnutrition pouvant engager le pronostic vital (hypothermie, hypotension, bradycardie).
La prévalence (proportion d’individus de la population exprimée en pourcentage qui présentent cette maladie) des troubles du comportement alimentaire varie de 0.2 à 0.6 % selon les études (ayant atteint 10.5 % dans une étude aux états unis parue en 2004 sur 2279 filles de 10 à 14 ans).
L’anorexie mentale pré pubère est une forme très grave dans laquelle les taux de mortalité sont élevés, 5.1 % par décennie sur une étude à grande échelle regroupant elle même 36 études. Les complications somatiques représentent la principale cause de décès (54%), la deuxième cause de décès étant le suicide (20 à 27 %). Il s’agit du plus fort taux de mortalité de toutes les pathologies psychiatriques (5 à 10%).
Il faut noter une spécificité majeure sur le sex ratio de l’anorexie mentale prépubère avec 19 à 30 % des malades représentés par les garçons au lieu de 90 % de femmes dans la population générale des personnes souffrant d’anorexie mentale.
Clinique
Afin de porter le diagnostic, les médecins se réfèrent à divers critères, adaptés à l’enfant, de la classification du DSM -IV (manuel diagnostic des troubles mentaux) :
-poids de 15 % inférieur à celui attendu avec refus de maintenir un poids au dessus du poids minimum pour l’âge et la taille
-peur de grossir, peur de prendre du poids
-dysmorphophobie (perception erronée de son poids, sa silhouette) et déni de maigreur.
Trois éléments remarquables sont à préciser, en comparaison avec l’anorexie mentale dans l’ensemble de la population affectée : il y a jusqu’à 30 % de garçons, la restriction hydrique est fréquente et il a souvent un état dépressif associé à l’anorexie mentale prépubère.
Une fois le diagnostic établi, les enfants nécessitent un suivi médical (=somatique afin d’ évaluer l’état corporel) ainsi qu’un suivi psychologique, psychiatrique et psycho affectif.
Sur le plan médical, il est important de noter les critères d’hospitalisation puisque cela concerne plus de la moitié des patients : refus de boire, aphagie totale, fréquence cardiaque basse (<40 battements par minute) ou parfois au contraire tachycardie, hypothermie, baisse de tension (<80/50 mmHg), syndrome occlusif, ralentissement verbal, confusion…
Sur le plan psychique, la restriction alimentaire, plus ou moins consciente, peut s’installer suite à certains évènements : déménagement, divorce, deuil, changement d’établissement, harcèlement scolaire, abus sexuels…
La forme restrictive pure est quasi exclusive et la présentation clinique d’emblée sévère avec amaigrissement rapide, hyperactivité physique marquée, traits de perfectionnisme et rigidité sur le plan cognitif, les co-morbidités (=présence d’une autre affection) psychiatriques fréquentes.
Sur le plan développemental et environnemental, l’auteur explore plusieurs causes de développement de TCA et dégage ainsi :
*des facteurs de risque internes (génétiques, période néonatale, facteurs de neuro-endocrinologie, facteurs de neurotransmission, tempérament et personnalité)
*des facteurs de risque externes (famille, structure, société et culture, facteurs psychosociaux)
*des facteurs précipitants (évènements familiaux, puberté…)
*des facteurs de maintien (modifications psychologiques et corporelles liées à la dénutrition).
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A la lumière de ces données, j’ai tenté de déterminer les facteurs applicables à mon enfant puis d’évaluer sur quels facteurs je pouvais agir, notamment dans mon comportement et mon dialogue avec lui.
Concernant les facteurs de risque internes, mon fils avait un petit poids de naissance, à relier à un accouchement trois semaines en avance et peut être à mon diabète gestationnel qui a été géré uniquement avec des mesures diététiques sur les recommandations de l’endocrinologue (restrictions alimentaires qualitatives afin de limiter l’hyperglycémie) : ceci aurait influencé l’épigénétique (expression des gènes en fonction de l’environnement y compris in utero), ce qui reste une supposition. Un argument concernant la méthylation est d’ailleurs exposé dans la thèse.
A l’âge de six mois, mon fils a catégoriquement refusé le biberon au moment du sevrage (un peu brutal et non souhaité) lié à la reprise de mon activité professionnelle : il hurlait à l’approche de la moindre tétine! Ceci représente un élément concernant le tempérament et la rigidité psychique de mon garçon, qui n’était pas encore très formaté par la famille à cet âge là sur le plan alimentaire. Déjà à six mois, il n’acceptait donc comme source de lait infantile que les petits suisses premier âge sur les conseils du pédiatre. Puis, plus aucun trouble alimentaire clairement identifiable jusqu’à juillet 2017. Avec le recul actuel, le TCA s’est installé tout de même insidieusement, sur environ une année. Les facteurs de rigidité psychique (perfectionnisme et hypersensibilité) ainsi qu’une hyperactivité mentale et physique se confirmèrent par contre nettement dès l’âge de cinq ans. En l’absence de problème de santé, je n’y prêtai guère d’attention.
Parmi les facteurs de risque externes, la pratique de la gymnastique pendant 4 ans est à souligner, ainsi que du harcèlement scolaire sur le temps de la cantine durant l’année où les troubles se sont installés insidieusement (ayant pu faire le lit d’une dépression, clairement identifiée en juillet 2017).
Concernant les facteurs précipitants, j’ai pu identifier le deuil avec la perte de l’animal de compagnie et le fait d’avoir été présent lors du décès, ceci moins d’une semaine avant l’anorexie avérée. Cinq ans auparavant, le deuil de son grand père maternel suivi de ma dépression sévère ont vraisemblablement installé un questionnement douloureux au sujet de la mort, sans qu’il ne l’exprime ouvertement (et bien que j’ai tenté à plusieurs reprises d’expliquer les choses de façon adaptée à un enfant de 5 ans) : ainsi, l’expression des émotions et des sentiments pourrait avoir été refoulée plusieurs années.
Enfin, les facteurs de maintien ont été peu nombreux, car l’épisode d’anorexie très aigu a nécessité une hospitalisation au bout de trois semaines après le diagnostic. Le papa et moi même avons très rapidement plongé dans la lecture d’ouvrages de qualité afin de comprendre ce qui nous apparaissait comme incompréhensible. Dans les facteurs de maintien, je dois citer tout de même, avant l’hospitalisation soit environ pendant 3 semaines, notre insistance pour qu’il s’alimente, ce qui est a été parfaitement contre productif, voire nocif dans notre cas (accentue l’anxiété et diminue l’estime de soi en augmentant la culpabilité) : il est fondamental que nous l’ayons compris. Ce point a été saisi après la lecture d’ouvrages ; il est dommageable que de telles pratiques soient observées en milieu hospitalier dans un cadre où les intervenants sont censés connaître la maladie, ceci est d’ailleurs mentionné par les spécialistes qui observent que certains sont focalisés sur le symptôme au lieu de s’attaquer aux causes. Encourager la prise alimentaire de façon bienveillante, mesurée et adaptée au patient est toutefois recommandé.
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J’espère de tout cœur que mon témoignage aidera certains parents à clarifier la maladie de leur enfant et se rapprocher de leur équipe soignante si cela peut faire émerger des éléments importants. Dans un sens, ceci est applicable (par les parents, par les aidants, par les thérapeutes) même si l’enfant est maintenant adulte ; il s’agit de retracer les évènements majeurs de la vie qui ont pu contribuer à l’installation de la maladie, pour la comprendre et pour « revisiter » certains événements de façon plus positive : en quelque sorte pour les digérer de nouveau afin de les assimiler et tenter de quitter cette prison qu’est la maladie anorexique. Enfin, grâce aux témoignages de malades, on sait maintenant que certains évènements (abus sexuels, maltraitance…) sont malheureusement refoulés dans le subconscient et ne sont pas directement accessibles pour le malade lui même : ces éléments peuvent remonter dans la conscience grâce à certaines thérapies (hypnose, EMDR : désensibilisation ou retraitement par les mouvements oculaires).
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