Les femmes souffrant de troubles du comportement alimentaire de type anorexie ont très fréquemment des périodes d’aménorrhée. Cette absence de règles est d’ailleurs un des critères diagnostiques de l’anorexie mentale. Les autres désordres alimentaires représentés par la boulimie et l’hyperphagie boulimique sont également parfois difficiles à concilier avec une grossesse, du fait de crises boulimiques, de comportements de purges ou d’élimination (activité physique). Les TCA s’accompagnent aussi parfois de troubles anxieux et/ou de l’humeur qui peuvent être difficile à gérer avec la grossesse.
Malgré la maladie, certaines femmes ont un désir de maternité et veulent vivre le plus normalement possible et avoir le bonheur de voir grandir et d’élever un enfant. La maternité représente aussi une opportunité qui les aident à sortir de leur trouble alimentaire.
Nous allons voir dans cet article les difficultés rencontrées par les personnes souffrant de troubles alimentaires avant la grossesse. Puis nous verrons à travers des témoignages comment se déroule une grossesse chez une femme souffrant de TCA et l’opportunité qu’elle représente. Enfin, nous verrons quelle sont les modalités de prise en charge des femmes souffrant de TCA pendant la grossesse.
Les difficultés rencontrées par des personnes souffrant de TCA avant la grossesse
Les difficultés liées au corps
Les troubles du cycle menstruel et l’aménorrhée lors d’anorexie
L’aménorrhée, ou absence de règles est très fréquente dans les TCA de type anorexie restrictive. Elle est quasiment systématique lorsque l’IMC devient trop bas (<18.5 kg/m2). Un malade ayant un IMC inférieur à 17 perd presque 90 % de sa fécondité (5). Pour le calcul de l’IMC, c’est par ici. Retrouvez aussi la définition de l’IMC dans mon article Glossaire, ici.
En effet, la sécrétion des hormones hypophysaires (glande dans le cerveau qui commande de nombreuses fonctions hormonales) est sous la dépendance du tissu adipeux. Ce dernier fabrique de la leptine dont une fraction, au delà d’un certain niveau dans le sang, pénètre dans le cerveau et active les hormones de l’hypothalamus, qui commande ensuite l’hypophyse.
Statistiquement, 92 à 95 % des femmes souffrant d’anorexie n’ont plus leurs règles (5), la leptine (liée à la quasi absence de tissu adipeux) dans le sang étant trop basse pour que les cycles se déclenchent.
Ce mécanisme explique aussi pourquoi les sportives minces ou maigres ont des troubles du cycle menstruel.
Il est important de faire la différence entre les règles artificiellement induites par la pilule et les règles naturelles, sans pilule. En effet, si la personne souffrant d’anorexie arrête sa pilule, elle s’aperçoit souvent qu’elle n’a pas ses règles.
D’autre part, le désir sexuel est souvent altéré du fait de la dénutrition, ce qui n’aide pas non plus à la procréation..
Si les troubles alimentaires de type restrictif sont trop sévères et/ou durent trop longtemps, la stérilité est possible. En effet, l’anorexie mentale lorsqu’elle devient chronique, est la cause la plus fréquente de perte de fécondité. Laeticia Hallyday pense que son anorexie a été responsable de son impossibilité à procréer. Elle en témoigne ici.
Les troubles du cycle menstruel lors de surpoids
A l’inverse des troubles alimentaires restrictifs, un trouble du comportement accompagné d’un surpoids important (qui peut se produire chez les personnes souffrant d’hyperphagie boulimique) peut occasionner des troubles de la fertilité par des mécanismes de résistance à l’insuline. Ces mécanismes sont responsables de différents problèmes comme le syndrome des ovaires polykystiques, avec parfois anovulation. Ils causent aussi d’une altération de la qualité des ovocytes, et de l’endomètre ce qui diminue les chances de conception. Pour plus de détails, vous pouvez lire cet article.
Les difficultés psychiques lors d’une grossesse chez une femme souffrant de TCA
La peur de grossir, la peur de la déformation du corps pendant la grossesse
Les personnes qui ont souffert de troubles alimentaires, peuvent craindre une rechute de celui-ci si elles n’acceptent pas l’idée et les sensations du corps qui prend naturellement du poids au cours de la grossesse. Celles qui n’ont pas résolu leur trouble alimentaire (anorexie, et/ou boulimie) ont encore plus plus de réticences, compte tenu de la perception et des sensations de leur corps qui restent problématiques.
La gestion des troubles anxieux et/ou de l’humeur
Les troubles du comportement alimentaire sont assez souvent associés à des troubles anxieux et/ou de l’humeur qui nécessitent parfois un traitement médical. Ce traitement, parfois incompatible avec une grossesse doit être interrompu ou aménagé par le/les professionnels de santé. Ceci rend plus délicat la gestion de l’anxiété et de l’humeur qui doit se faire par des méthodes plus naturelles et/ou non médicamenteuses. Cela peut aussi représenter une opportunité aussi pour la personne d’apprendre à gérer différemment les troubles associés.
La gestion des conduites associées aux TCA
La restriction alimentaire peut poser problème au cours de la grossesse. En effet, le strict minimum de poids que doit prendre la maman est de 7 kg (poids du bébé, du placenta, de liquide amniotique…). En cas de restriction alimentaire trop importante, il y a un risque que le bébé ne prenne plus de poids, voire que la grossesse n’arrive pas à terme.
Quant aux vomissements, ils occasionnent des désordres électrolytiques parfois sévères qui peuvent mettre en danger la mère et l’enfant. De plus l’inconfort est majoré lors de ce comportement éliminatoire du fait de la place occupée par l’utérus et le fœtus dans l’abdomen.
Les purges sont en général toutes contre indiquées en cas de grossesse.
Enfin, l’exercice physique, en particulier l’hyperactivité majore le risque d’avortement en particulier chez les personnes souffrant d’anorexie.
Les témoignages de personnes souffrant de troubles alimentaires et leur grossesse
La vie de famille, un élan positif pour Christine
Pour Christine, les TCA ont débuté vers 15 ans. Grande sportive à l’adolescence, remarques acerbes de l’entourage, séparation des parents sont les facteurs qui l’ont conduite à développer un trouble alimentaire, d’abord anorexie puis boulimie. Elle analyse que le manque de son père l’a fait beaucoup souffrir. La peur d’être jugée, l’impossibilité de se confier même au médecin, et la méconnaissance de la maladie l’enferment plusieurs années. La maladie dure de 15 à 27 ans. Elle pas eu l’aide tant espérée de sa mère, qui elle même était déprimée. Christine a d’ailleurs écrit un livre « tout ou rien« .
Elle pensait être stérile du fait des troubles anorexiques et boulimiques. Elle découvre sa grossesse alors que son compagnon est reparti en mission suite à une promotion. Elle accouche et et élève seule son enfant la première année. Puis, au retour de son mari, la famille part s’installer au portugal dans sa belle famille. La vie de famille, en mode vacances, la canalise dans des élans positifs, elle se laisse vivre et sent qu’elle va mieux. Elle se rend compte en essayant un short qu’elle est guérie de ses troubles alimentaires. C’est la magie de la grossesse : « on réussit pour un enfant ce qu’on n’a pas réussi à faire pour soi ».
Quatre témoignages très différents
- Dorothée, la première jeune femme qui témoigne a souffert d’anorexie mentale vers l’âge de 17 ans, à l’époque du bac. Elle été hospitalisée plusieurs fois. A l’âge de 26 ans, elle rencontre son compagnon. Elle cache ses TCA mais les troubles alimentaires reprennent et notamment une chute de potassium (assortie d’une hospitalisation) qui l’ont conduite à se confier. Elle a fait une première fausse couche du fait de ses TCA. Au cours de sa deuxième grossesse, elle témoigne avoir des difficultés à gérer les vomissements. Mais elle ne veut pas revivre de fausse couche et la culpabilité qui s’en est suivie. La pratique du piano l’aide à diminuer et canaliser les crises. Elle a fait une première fausse couche du fait de ses TCA.
Invités de l’émission, Nicolas Sahuc, diététicien spécialisé dans les TCA et la Dr Amina Yamgnane gynécologue obstétricienne expliquent leur point de vue sur les difficultés que rencontrent les mamans. La gynécologue conseille de guérir de leurs TCA avant de tenter une grossesse car cette dernière représente une situation d’immense danger pour ces personnes. - Manuela, infirmière et souffrant d’anorexie mentale depuis la fin du lycée, témoigne également. Elle progresse tout doucement et souhaiterait avoir un enfant. Nicolas Sahuc conseille de se dégager de l’image du corps et cite :
« il faut s’alimenter, se nourrir parce qu’il y a un corps et non pas parce qu’il y a un poids ou une image corporelle….Il faut nourrir ce corps qui vit et a besoin d’énergie pour pouvoir fonctionner »
Nicolas Sahuc
Dans cette émission, les stimulations artificielles favorisant l’ovulation (qui est absente quand l’IMC est trop bas) sont abordées afin de permettre d’initier la grossesse. Selon la Dr Yamgnage, elles ne sont pas forcément une bonne solution pour aider la femme à ovuler et tomber enceinte. En effet, si TCA ne sont pas résolus, la stimulation causant parfois des grossesses multiples, n’est pas sans risque : grossesse non menée à terme et pré maturité, épuisement du corps si la grossesse va à terme.
- Cathie qui souffre d’émétophobie (peur panique de vomir) depuis l’âge de 4 ans, a expliqué les difficultés qu’elles a rencontrées au cours de ses grossesses.
- Océane, souffre de TCA depuis l’âge de 11 ans avec anorexie et boulimie vomitive. Elle vit deux grossesses malgré ses TCA, et accouche prématurément d’un premier bébé de 1.6 kg à la naissance (qui aurait plutôt été causé par un problème placentaire que par ses troubles alimentaires).
Si vous voulez voir un dernier témoignage, c’est par ici.
Voyons enfin dans cette dernière partie, comment aider les femmes atteintes de TCA à vivre leur grossesse du mieux possible?
Les modalités de prise en charge des femmes souffrant de TCA pendant la grossesse
La prise en charge multi-modale
La prise en charge durant la grossesse des patientes souffrant d’un TCA nécessite l’intervention d’un réseau interdisciplinaire. Cette prise en charge multi modale s’organise autour de trois pôles (7) :
- Un suivi somatique, gynéco-obstétrical, puis pédiatrique.
- Un suivi spécialisé du TCA : psychiatrique et/ou psychothérapeutique et nutritionnel.
- Un suivi mère-bébé par une sage-femme puis un(e) infirmier(-ère) de la petite enfance et, en cas de besoin, un(e) pédopsychiatre.
L’approche doit être empathique, non jugeante et surtout non culpabilisante.
Il s’agit de se centrer sur la santé présente et future du fœtus afin d’accompagner la patiente dans ses efforts pour contenir les symptômes de son TCA.
Dans le temps, cet accompagnement doit s’effectuer de façon rapprochée et en étroite coordination avec les différents intervenants du réseau durant toute la grossesse, mais également dans le post-partum et ceci même si aucune complication n’a été observée.
De plus, il s’agit de rester très attentif à l’évolution des comorbidités psychiatriques (anxiété, troubles de l’humeur) afin, le cas échéant, de pouvoir les traiter spécifiquement.
La psychoéducation
La psychoéducation va se révéler encore une fois être un outil intéressant (surtout pour les personnes en contrôle perpétuel). J’en parle dans mon précédent article « pourquoi la psychoéducation vous aide à guérir d’un trouble du comportement alimentaire« .
Elle porte sur :
- les besoins de leur enfant,
- leur propre évolution pondérale et l’accentuation physiologique de leur sentiment de faim,
- le risque de dépression du post-partum,
- la formulation d’objectifs clairs et mesurés (par exemple, en termes de prise de poids et de changements diététiques progressifs, de diminution des comportements de purge).
Cela donne une trame, un fil directeur à la future maman et la rassure.
Concernant le plan psychothérapeutique, l’approche motivationnelle et surtout le soutien sont indispensables. La stabilité des intervenants tout au long de la prise en charge est importante.
Utilisation d’un questionnaire pré-natal
Idéalement un questionnaire devrait être effectué avant chaque visite prénatale :
– Quel est votre régime alimentaire actuel ? Limitez-vous votre apport alimentaire? Avez-vous des crises d’hyperphagie boulimique ? Vomissez -vous ou prenez-vous des laxatifs après avoir mangé ?
– Que pensez-vous de votre forme et de votre poids ?
– Quel est votre poids ? Pensez vous que votre prise de poids est appropriée par rapport à votre grossesse ?
– comment est votre humeur ? vous sentez-vous faible ou anxieux ?
– Quel exercice faites-vous ? Faites-vous trop d’exercice ?
En conclusion, la gestion d’une grossesse chez un femme atteinte de TCA peut s’avérer difficile et non dénuée de risques ou de complications. Néanmoins la prise en charge progresse et permet à ces femmes qui mènent leur grossesse à terme de vivre autrement que dans et par la maladie. De plus, un court article sur les statistiques de TCA après la grossesse, souligne combien la grossesse semble avoir un effet favorable dans l’amélioration ou la disparition d’un TCA, ce qui appuie le fait que la maternité contribue probablement à l’épanouissement et à la réalisation de ces nouvelles mamans.
Sources :
1/Troubles du comportement alimentaire et maternité : entre risque et opportunité – Revue Médicale Suisse (revmed.ch)
2/Anorexie : je suis une “mumrexique” | PARENTS.fr
3/Grossesse et anorexie : une histoire possible – Anorexie et maternité : Femme Actuelle Le MAG
4/la folie du ventre, corps de femme, corps de mère, de Claire Squires
5/Anorexie mentale, boulimie, compulsions alimentaires et troubles du comportement alimentaire – Perte des règles, fécondité et troubles du comportement alimentaire – Association Autrement (anorexie-et-boulimie.fr)
6/FFAB – Que fait le grossesse sur l’évolution des TCA ?
7/VB. Ward Eating disorders in pregnancy. BMJ 2008
Image par BRUNA BRUNA de Pixabay