Les troubles du comportement alimentaire, que sont anorexie mentale, boulimie et hyperphagie boulimique pour les plus connus, s’accompagnent parfois voire souvent de troubles de la consommation d’eau. En excès, on parle de potomanie, et en défaut de restriction hydrique.
Examinons de plus près ce que sont la potomanie et la restriction hydrique. Puis nous verrons des témoignages et enfin quels sont les moyens de prendre en charge ce trouble.
Potomanie et restriction hydrique
La potomanie
Définition de la potomanie
La potomanie se définit comme un besoin irrépressible de boire constamment. Ce terme provient du latin : potare qui signifie boire et mania, habitude fortement marquée. Il s’agit en général d’eau ou d’autres liquides non alcoolisés. La consommation moyenne d’eau par jour se situe aux alentours de 1.5 L d’eau. Elle peut atteindre une dizaine de litres par jour pour les personnes potomanes, voire plus (jusqu’à 24). Au delà de 3 à 4 L par jour, il est recommandé de consulter.
Classification de la potomanie
On distingue deux types de potomanies :
- La potomanie primaire, aussi appelée diabète insipide psychogène ou polydipsie (soif excessive) primaire psychogène, se caractérise par une compulsion chronique à l’ingestion d’énormes quantités de liquide, d’eau le plus souvent. Les patients boivent avant d’avoir réellement soif.
- La potomanie secondaire, est liée à une cause d’ordre biologique (diabète sucré, insuffisance rénale, diabète insipide central ou néphrogénique, prise de médicaments…).
Causes de la potomanie
Les causes de la potomanie peuvent être génétiques. Dans ce cas, la vasopressine, hormone régulation de l’eau ou hormone anti-diurétique, n’est pas efficace, soit parce qu’elle est insuffisamment sécrétée au niveau du système nerveux central et plus précisément de l’hypothalamus (on parle de diabète insipide central), soit parce que les reins dysfonctionnent et ne sont pas sensibles à son action. dans ce dernier cas il s’agit d’un diabète insipide néphrogénique.
La potomanie peut être retrouvée lors de troubles neurologiques qui concernent l’hypothalamus, lors d’affections organiques (insuffisance rénale, hépatique) ou métaboliques (diabète sucré).
La potomanie psychogène se retrouve lors d’anorexie mentale, de schizophrénie, de psychoses ou névroses infantiles. Elle peut aussi faire suite à de troubles alimentaires de type boulimique et remplacer cette dernière (l’addiction à l’eau a remplacé celle à la nourriture et le problème de fond n’a pas été solutionné), ou co-exister avec la boulimie.
Diagnostic
Il convient de faire la différence entre la potomanie d’origine psychogène et celle d’ordre biologique. Des analyses sanguines et urinaires au cours d’un test de restriction hydrique (= de privation d’eau) sous surveillance étroite sont proposés. Selon les cas, une phase préparatoire de plusieurs jours à ce test peut être envisagée. L’interprétation de ce test n’est pas toujours facile. Ce test peut inclure l’utilisation de vasopressine (en général par voie veineuse). C’est à la potomanie psychogène que l’on s’intéresse plus particulièrement dans cet article.
Symptômes
Concernant les symptômes, la potomanie s’accompagne d’hyponatrémie (diminution du sodium dans le sang), d’hypokaliémie (chute de potassium sanguin) d‘œdèmes, c’est à dire de gonflements au niveau corporel (commençant aux extrémités) et parfois dans les situations extrêmes d‘œdème cérébral (à prendre en charge très rapidement car pouvant conduire au décès).
Voici en vidéo, une petite explication sur la potomanie dans cette vidéo sur les troubles alimentaires atypiques.
La restriction hydrique
A l’inverse de la potomanie, la personne concernée ne s’hydrate pas assez voire plus du tout. Ceci doit être pris en charge très rapidement selon la gravité de la restriction. Cette forme est plus rare et s’observe plutôt dans les cas d’anorexie mentale pré-pubère donc chez les enfants. Elle peut aboutir à une insuffisance d’abord pré rénale puis rénale si la restriction dure et/ou si la prise en charge tarde.
Comprendre le rôle de l’eau dans le corps et les perturbations lors de TCA
Le corps contient 60 à 70 % d’eau selon l’âge et l’état d’hydratation. Plus l’individu est jeune plus ce pourcentage est élevé. Les personnes âgées ont un pourcentage plus proches de 60 %, parfois plus bas.
Lorsque l’individu souffre d’anorexie mentale, il ne faudrait pas qu’il boive plus de 1.5 L d’eau, et 2.5 L d’eau par jour s’il souffre de boulimie.
Pour plus d’informations, consulter cet article très intéressant de l’Association Autrement. Un schéma d’un individu indique dans quelles proportions va se trouver l’eau dans les différents organes du corps en temps normal.
Les témoignages
Voici un premier témoignage de potomanie ici avec une réponse formulée par le Dr Apfeldorfer psychiatre et psychothérapeute. Sa recommandation est de s’orienter vers les thérapies cognitivo-comportementales.
Lire le témoignage de Mathilde ici. Elle explique comment la maladie s’est installé, les difficultés et retards diagnostiques. Enfin au moment de son témoignage en 2016, elle semblait en bonne voie puisqu’elle avait pu diminuer sa consommation d’eau quasiment de moitié par rapport au pic qu’elle a pu vivre. Elle évoque une carence en magnésium consécutive à sa potomanie. Un changement de mode de vie et une prise en charge psychique l’aident à solutionner son problème de potomanie.
De façon générale le suivi ionique est toujours très important en cas de prise d’eau en excès ou en défaut.
Voici enfin mon témoignage personnel, puisque mon fils a souffert d’anorexie mentale alors qu’il n’était qu’un enfant (diagnostic juste avant l’âge de 10 ans). Il a souffert de restriction hydrique, comme une proportion non négligeable d’enfants atteints d’anorexie mentale prépubère. En fait, à un moment il a fait un blocage quasi complet et n’ingérait ni eau ni aliment (ou des quantités infimes) ce qui est devenu vite très alarmant. Je pense que le fait d’avoir des connaissances médicales nous a aidé à réagir vite et à accélérer la prise en charge. Il a fallu consulter 4 fois en 10 jours, 3 personnes différentes pour qu’enfin après notre insistance, il soit hospitalisé. Déjà une insuffisance pré-rénale était présente. Il n’a pas été perfusé. Mais une sonde d’alimentation a été posée au bout de 36 h d’hospitalisation puisque l’équipe soignante a fait le constat qu’il ne pouvait rien avaler. Ensuite, 6 semaines ont été extrêmement difficiles puisque nos visites n’étaient possibles qu’une heure par jour. Il devait boire sur la journée 1L d’eau par jour, en plus des apports par la sonde. Ceci n’a pas été évident car les apports devaient être fractionnés et il était réfractaire à la prise d’eau. Toutefois il buvait plus volontiers avec ses parents qu’avec l’équipe médicale. La prise en charge a été globale (somatise, psychique et nutritionnelle) et en somme la même que pour l’anorexie mentale (c’est à dire pluri disciplinaire) sur 3 mois d’hospitalisation, puis à sa sortie.
La prise en charge des désordres de la consommation d’eau
Conséquences de la potomanie
Examinons plus précisément les conséquences moléculaires puis corporelles d’une prise d’eau excessive.
Rupture de l’équilibre osmotique
Au delà d’un certain seuil de consommation en excès (en général 10 L/jour), l‘équilibre osmotique du corps humain est rompu.
Cela signifie que le niveau de solutés moléculaires (sodium, potassium, etc.) se déséquilibre entre le milieu extracellulaire et milieu intracellulaire. La pression osmotique extracellulaire diminue à cause de la prise d’eau excessive. Un équilibre des pressions osmotiques entre extérieur et intérieur de la cellule doit, normalement, empêcher le passage du solvant (ici, l’eau) de la solution la moins concentrée (ici, le milieu extracellulaire) vers la solution la plus concentrée (ici, la cellule). De ce fait, une diminution au-delà d’un certain point entraine une entrée d’eau en quantité disproportionnée dans la cellule, pouvant conduire à l’implosion.
De fait, l’excès d’eau dilue la quantité d’électrolytes dans le sang, ce qui peut provoquer une intoxication à l’eau, ou hyperhydratation (extracellulaire puis intracellulaire par équilibre des pressions).
Sur le plan corporel
Pour répondre à cela, le corps diminue le niveau de vasopressine, l’hormone antidiurétique, ce qui entraîne des émissions d’urine fréquentes. Cette stratégie fonctionne un temps, mais la dilution finit tout de même par se produire.
Dès lors, plusieurs conséquences peuvent survenir. Rétention hydrique, œdèmes, troubles cérébraux, risque d’épilepsie…
Les œdèmes proviennent du gonflement d’un organe ou d’un tissu en réponse à l’accumulation d’eau entre les cellules.
Les troubles cérébraux sont déclenchés soit par l’implosion de cellules nerveuses, soit par un œdème cérébral.
Enfin, le risque crise convulsive est causé par l’hyponatrémie (sodium inférieure à 135 nmol/L dans le plasma sanguin) ce qui rompt l’équilibre osmotique et engendre une hyperhydratation intracellulaire. Toutes ces répercussions sont dangereuses pour la personne atteinte de potomanie (et pour n’importe quel humain).
Traitement de la potomanie
A l’instar des TCA plus typiques, plus tôt le trouble est dépisté, moins la potomanie dure longtemps, plus les chances de guérir augmentent et la chronicisation décroit.
Afin de ne pas en arriver là, différents traitements et accompagnements sont possibles. Dans le cas où la potomanie provient d’un trouble du comportement, une psychothérapie ou une psychanalyse est nécessaire. Elle consiste en une approche progressive, où par exemple le patient se voit remettre un certain nombre de bouteilles d’eau pour une période donnée. Puis, petit à petit, leur nombre est diminué, jusqu’à atteindre une consommation raisonnable. En parallèle une approche cognitivo-comportementale est nécessaire ainsi que l‘identification des co-morbidités éventuelles associées : TCA, anxiété (voire trouble anxieux généralisé), schizophrénie…
Une hospitalisation peut s’avérer nécessaire en cas d’ingestion massive brutale, de maux de tête, vertiges, crises convulsives, qui peuvent être le signe d’un œdème cérébral.
L’hospitalisation s’avère aussi nécessaire en cas de dépendance trop sévère car la personne ne parvient pas à tenir les mesures en dehors du cadre jospitalier.
Les conséquences d’une restriction hydrique
La déshydratation entraine d’abord des mécanismes compensatoires mais très transitoires. Le manque d’apports hydriques entraine une insuffisance pré rénale (réversible si la déshydratation est de courte durée) qui devient rénale en l’absence d’apports hydriques. Un humain ne peut vivre plus d’une semaine sans eau. Une défaillance multi organique s’installe si la restriction d’eau persiste, avec hypotension, malaises allant jusqu’au coma et au décès.
Traitement de la restriction hydrique
Comme mentionné précédemment, la restriction hydrique est fréquente chez l’enfant. Elle constitue une des différences majeures avec les symptômes de l’adolescent et de l’adulte. Contrairement à ces derniers qui rapidement, ont tendance à se remplir d’eau pour accélérer la sensation de satiété (voire pour fausser les pesées), l’enfant ne semble plus percevoir la soif. Ou bien, il pense que l’eau fait grossir. En fait les enfants sont plus sensibles aux perceptions corporelles de remplissage que les adultes. Il en résulte un évitement des apports liquidiens et un risque accru de déshydratation.
En cas d’insuffisance pré rénale, des mesures hydriques sont instaurées avec prise d’eau ou de solutés de réhydratation orale de façon très régulière et en petites quantités. Chez les personnes sujettes aux vomissements, on peut préconiser plutôt des solutés de réhydratation à l’eau en début de prise en charge, à raison d’une grosse gorgée toutes les 10 minutes (en cas de déshydratation) afin d’éviter les sensations de remplissage et un effet émétisant.
Une perfusion peut être indiquée en cas de d’insuffisance des mesures préalablement citées. Une thérapie cognitivo-comportementale est également préconisée. Les mesures de prise en charge psychologique et leur diversité rejoignent celles instaurées de façon générale pour les TCA. Il s’agit d’avoir recours à une thérapie multi-modale, préconisée dans un grand nombre d’addictions.
En conclusion la potomanie et la restriction hydrique d’origine psychogène peuvent être considérées comme un trouble comportemental alimentaire atypique évoluant isolément ou en association avec des TCA. Comme toute addiction, les conséquences peuvent être dramatiques. La potomanie ou la restriction hydrique (bien que plus rare) d’origine psychogène doivent être prises en charge rapidement et de façon pluri-disciplinaire (médicale, parfois hospitalière et psychique, souvent cognitivo -comportementale).
Sources :
1/Potomanie : le besoin de boire constamment, qu’est-ce que c’est ? (passeportsante.net)
2/Définition | Potomanie – Polydipsie primaire – Polydipsie psychologique | Futura Santé (futura-sciences.com)
3/Anorexie mentale pré-pubère et familles : approches génétique et environnementale
Image par Dirk Wohlrabe de Pixabay