Je découvre ce jour ce témoignage poignant (écrit en 2010) que je voulais vous partager : il s’agit d’un garçon, Jamel Boussetta, qui décrit très bien ce calvaire dans lequel il est tombé, ce double démon que représente la maladie anorexie-boulimie.
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« C’est en 1996 que j’ai sombré dans l’anorexie. Cette maladie m’a accueilli les bras ouverts. Elle est la cousine germaine de la boulimie ! Je n’ai jamais souhaité être anorexique, ce sont les autres qui m’ont conduit à le devenir. Les autres, ce sont ma famille, mes amis, les gens dans la rue … qui, par leurs remarques blessantes, m’ont poussé à l’extrême, au point où j’ai refusé de m’alimenter.
A leurs yeux, j’étais un monstre, le Bouboule, le petit gros, Big Mac … Alors, un jour, je me suis dit que je voulais en finir d’être « le gros de service ». Un matin je décidai d’arrêter de manger.
J’ai cru, au début, faire un régime, comme bon nombre d’anorexiques, mais sur le chemin de la perte de poids, l’anorexie a fait son entrée comme une star, dans ce cauchemar qui s’est révélé être une dure réalité.
Ce devait être l’été 96. En un temps record, l’espace de deux mois, j’ai perdu 23 kilos. Mais au-delà de l’amaigrissement, le bilan est sombre : j’ai perdu bien plus que des kilos, j’ai perdu ma santé. Point par point, je vais vous expliquer l’envers du décor de la maladie. Derrière le beau rideau de velours rouge, se cache une triste vérité. L’anorexie était mon metteur en scène, elle m’a appris à jouer la comédie.
Dans la pièce de théâtre, j’ai eu le premier rôle. Ce « rôle », je m’en serais bien passé dans cette comédie dramatique.
La veille de la première, j’avais le trac, je me suis endormi au petit matin, épuisé d’avoir gambergé une partie de la nuit.
Le jour tant attendu est arrivé, j’avais hâte de faire mon entrée en scène. Avant d’ouvrir le rideau, madame « ANOREXIE » frappe les trois coups, annonçant mon apparition dans la pièce intitulée : « BIENVENUE DANS LE REGIME DE LA MORT. »
Un lundi matin donc, réveillé par les rayons de soleil qui traversaient la fenêtre de ma chambre, je me suis levé en pleine forme et de très bonne humeur. Je me suis douché et j’ai pris mon petit déjeuner comme d’habitude. Jusque-là tout allait bien mais … il y avait un « MAIS » : je ne me suis pas jeté sur la nourriture cette fois-ci, je n’ai bu qu’un café avec un sucre d’aspartame.
J’avais bien préparé le déroulement de mes journées, j’avais de l’énergie à revendre mais surtout une très grande motivation car j’avais décidé de maigrir … En pleine adolescence, j’étais inconscient de ce que j’allais faire. Pour moi REGIME était égal à NE PLUS MANGER, j’étais loin d’imaginer le résultat final …
La première semaine fut difficile pour moi, très éprouvante. Mais face aux résultats que je pouvais apercevoir quotidiennement sur ma balance, j’ai continué à refuser de m’alimenter. J’avais extrêmement faim, mais il était hors de question pour moi de remanger.
Mon alimentation se résumait ainsi : un verre de café le matin, à midi jeûne et le soir petite salade nature. Plus les jours avançaient et plus je devenais faible, j’étais fatigué, à bout de forces, j’avais les yeux cernés.
Avec le peu de nourriture que j’avais dans le ventre, je trouvais encore le moyen de marcher des kilomètres pour éliminer le peu de calories qui me restaient.
Au fil du temps, même manger une feuille de salade devenait un supplice. J’avais la phobie de la nourriture, jusqu’à en être écœuré rien qu’en la regardant.
Je ne partageais plus aucun repas avec ma famille sous prétexte que j’avais déjà mangé dehors. Les placards ne se vidaient plus à la vitesse grand V. Contrairement à ce qui s’était passé avec la boulimie, ma mère s’est posée des questions car elle s’étonnait que je ne me goinfre plus et me trouvait amaigri et très fatigué. Je la voyais inquiète, mais il était trop tard ! J’étais devenu anorexique.
Je ne voulais voir personne, je m’enfermais à clef dans ma chambre pour y passer le plus clair de mon temps, à dormir ou regarder la télé. Et quand je sortais pour parcourir des kilomètres, c’était très tôt le matin, pour ne pas croiser les potes du quartier. J’étais dans ma bulle, dans mon monde et en plein changement physique … Mais à quel prix?
Le matin, après avoir pris mon café avec une sucrette, j’arrivais à bouger mais en rentrant du « sport », j’étais une vraie larve, exténué. C’était parfait, puisque je m’écroulais dans mon lit ; et là, c’était le top ! Je dormais profondément …
Dormir pour oublier mes souffrances, dormir pour oublier la faim et dormir pour être dans le monde du silence. Enfin la paix … je n’entendais plus rien, plus de disputes, plus de critiques …
Lorsque je ne m’étais pas réveillé pour mon rituel – la marche à pied -, pas de panique ! J’utilisais le plan B : j’astiquais de fond en comble ma chambre jusqu’à épuisement total. Tout était nickel. Une activité intense pour brûler les calories …
Le temps passait très vite, j’étais déconnecté de la réalité, je ne savais plus quel jour on était, à vrai dire je m’en foutais complètement. Le plus important, c’était de maigrir.
J’éprouvais un plaisir à me surpasser et à être enfin le maître du jeu. Cette fois c’est moi qui commandais, je décidais si je mangeais ou pas !
Madame Boulimie faisait une triste tête, mais je ne voulais pas lui donner à manger. J’étais en extase devant ma capacité à contrôler la situation pour une fois … Mon corps réclamait de la nourriture mais je m’interdisais de lui en donner.
Durant des années, j’ai gavé mon corps comme un canard que l’on engraisse. Mais pourquoi manger si c’est pour grossir?
Puis j’ai défié mon corps, je me suis surpassé durant des semaines sans craquer une seule fois. Tant que « madame Boulimie » faisait la tête, « madame Anorexie » me souriait et m’encourageait. Dans ma tête, une voix m’aiguillonnait après la pesée du matin : « BRAVO !!! ENCORE 1KG EN MOINS ! SUPER ! VAS-Y, CONTINU ! » 1, 3, 7, 10, 15, 20 et 23 kilos en moins. Quelle belle récompense !
Merci aux laxatifs, merci au thé qui m’aidait à courir aux toilettes pour éliminer, merci aux coupe-faim qui étaient en vente libre à l’époque, merci à toutes les personnes qui m’ont insulté de près ou de loin, merci encore une dernière fois. Mais sachez que je vous déteste !
Ok ! Extérieurement, j’étais amaigri ; mais l’intérieur de mon corps, je n’y avais pas pensé. Je lui ai fait avaler tout et n’importe quoi, mais … encore une fois il y a eu un « MAIS » …
La réalité m’a très vite rattrapé. Un jour mon corps n’a plus accepté que je le prive de nourriture et j’ai commencé à enchaîner les malaises, je tremblais et mes jambes ne pouvaient plus me porter. Je perdais mes cheveux et mes dents se déchaussaient, j’avais des hallucinations, mon humeur était imprévisible et mon cœur battait au ralenti.
Le dernier malaise fut brutal. Chez une amie je me suis évanoui et c’est à l’hôpital Boucicaut à Paris que je me suis réveillé. On m’y avait transporté la tête en sang car j’étais tombé et je m’étais blessé dans ma chute. Mon bilan sanguin était catastrophique ! Inutile de mentir au médecin, je lui ai avoué que je refusais de m‘alimenter et c’est lui qui m’a dit que j‘étais devenu anorexique.
A l’époque, il y a treize ans, on pouvait poser un nom sur la maladie mais personne ne comprenait ce type de comportement. Les professionnels de la médecine ne savaient pas comment s’y prendre avec les anorexiques.
Un jour, je discutais avec un médecin qui s’est spécialisé dans les TCA (troubles du comportement alimentaire) et il m’a dit : « Tu sais, Jamel, aujourd’hui, j’ai compris la maladie, mais au début de ma carrière je trouvais stupides les patients qui refusaient de manger … » Ce sont ses propres termes et je pense que les médecins de sa génération peuvent se reconnaître à travers ses propos.
Mon régime s’était donc transformé en calvaire.
Après deux mois pratiquement sans manger, j’aurais pu rester sur le carreau. Si ma copine n’avait pas été avec moi, si j’avais été seul, qu’aurai-je pu faire ?
J’ai voulu jouer et j’ai perdu.
Donc, soit je me réalimentais, soit je fonçais tout droit dans un mur qui pouvait me conduire à un arrêt cardiaque. Malheureusement bien des anorexiques sont morts ainsi.
Alors j’ai choisi. J’ai recommencé à manger un petit peu mais cela restait encore très, très peu …
J’ai recommencé à sortir, à revoir mes potes et tout le monde était stupéfait de ma nouvelle silhouette.
Aurais-je dû affronter le monde extérieur ? Je ne sais pas …
Plus on me disait que j’avais maigri et plus je retombais dans l’anorexie. Car je recherchais la maigreur absolue. Dans ma tête, j’étais encore gros et dans ma tête plus rien n’allait. J’avais peur de la nourriture ! Mais il me fallait manger ! Quelle horreur !
De retour de l’hôpital après mon malaise j’ai énormément bouquiné sur le sujet et j’ai cherché tous les aliments pauvres en calories ; et c’est à base de tomates, de pommes et de cornichons que je me nourrissais pour tenir debout … Mes coupe-faim, je les ai remplacés par des comprimés vitaminés ; grâce à cela j’ai tenu le coup encore quelques semaines, avant de redevenir le boulimique que j’avais toujours été.
Dans ce monde de consommation où la mode est le premier sujet des couvertures de magazine, bien des jeunes, pour la plupart des filles, se lancent dans des régimes comme je l’ai fait et sombrent dans cette maladie.
J’en veux énormément à ces magazines racoleurs qui vendent des régimes miracle, et, pire ! des médicaments soi-disant testés cliniquement ! « Et la marmotte, elle met le chocolat dans le papier d’alu ? » Mais bien sûr …
Les photos des mannequins sont toutes retouchées, les filles sont pratiquement toutes anorexiques. Elles disent toutes manger correctement, mais ne soyons pas dupes ! Même le plus charlatan des nutritionnistes dira qu’elles sont toutes en carence alimentaire. Certaines, pour tenir le coup, se droguent à la cocaïne et certaines en meurent même …
Je voudrais répéter que j’ai perdu beaucoup en cessant de m’alimenter et, en premier lieu ma santé ! A toutes celles et ceux qui souffrent de cette terrible maladie, je lance un appel : Faites-vous soigner ! Je vous en supplie ! Allez consulter !
Ouiiiiiiii !!! Je sais ce que vous endurez ! Ouiiiiiiii !!! Je sais combien vous souffrez ! Je sais que le chemin vers la guérison est long mais ne perdez pas espoir, un jour viendra le déclic, puis la reconstruction. A cet instant j’ai mal, je pleure car je pense aux anorexiques qui me liront, mais je veux que mon témoignage soit une lueur d’espoir.
Tantôt boulimique, tantôt anorexique j’ai jonglé avec ces deux maladies qui sont en fait liées. Dépression, plus aucune estime de soi, plus de rapports sociaux, manque d’énergie … je suis passé par-là. Si quelqu’un peut parler du sujet en connaissance de cause, c’est seulement l’un de « NOUS » ; seuls nous, malades ou ex-malades, pouvons témoigner correctement. Car il faut l’avoir vécu pour comprendre cette autodestruction, ce suicide à petit feu …
J’ai été emporté dans cet ouragan, ce cyclone, ce cercle infernal des troubles du comportement alimentaire. Et les mots en « IR » je les connais par cœur : grossir, mincir, vomir, mentir, mourir …
J’ai trouvé plus douloureux d’être anorexique que d’être boulimique, parce qu’en période d’anorexie, je me sacrifiais. J’avais envie de me faire du mal, de voir mon sang couler de mes veines, j’avais un dégoût plus important de mon image, il me fallait compter les calories, peser les aliments et tout le tralala … Ma tête était une vraie calculette. Il fallait anticiper sur certaines situations, du genre : esquiver un repas de famille, décliner une invitation au restaurant, faire attention à son image pour « paraître » en forme et faire semblant d‘aller très bien, alors que l’on ne l’est pas du tout …
Je pense que l’anorexique et le boulimique sont d’excellents comédiens et des mythomanes hors pair.
Aujourd’hui, ayant connu la maladie, je remarque que certaines personnes de mon entourage ont des troubles du comportement alimentaire. Par exemple, un proche qui se goinfre puis court aux toilettes, revenant avec les yeux rouges comme s’il venait de pleurer, ou un ami qui vous quitte précipitamment pour rentrer chez lui, ce sont des attitudes qui peuvent amener à se poser des questions quand elles sont répétitives ! Si en plus il mange pour quatre et ne grossit pas, cela doit vous alerter … A l’opposé, le manque d’appétit, le refus de s’alimenter, c’est un comportement qui ne trompe pas non plus.
Pour ce qui me concerne, je pense qu’on pourra difficilement me tromper. Je connais toutes les astuces, tous les mensonges, tous les indices, qui me parlent, à moi l’ex-boulimique, moi l’ex-anorexique … enfin, ex, du moins je l’espère, j’espère ne plus jamais faire de rechute car j’ai trop donné …
En France, l’anorexie touche de plus en plus de jeunes filles et certains garçons. Ce qui me révolte, c’est qu’il manque des professionnels de santé, des structures pour encadrer les malades, qu’il manque des campagnes d’information sur la maladie. J’ai galéré à l’époque pour trouver quelqu’un pour me guérir car personne ne s’était penché sur ce type de maladie.
Le gouvernement s’inquiète aujourd’hui de l’augmentation du nombre des obèses en France. Je veux lui dire que, dans les statistiques, il ne faut pas voir que des gros, ce sont aussi des gens en souffrance.
Mais qu’attend-on pour s’intéresser aux anorexiques ? Attend-on un nombre important de morts comme celui des accidentés de la route pour trouver une solution au problème ? Peut-être cherche-t-on le détecteur de Gros ?
Peut-être l’argent public pourrait-il être utilisé à bon escient dans la formation d’un nombre plus important de médecins spécialisés dans cette pathologie ?
J’ai interpellé le ministre de la Santé, pour lui dire quelques vérités sur le sujet. A-t-il peur du trou de la sécu ? Je pense personnellement qu’il fera des économies car bon nombre de boulimiques et d’anorexiques se retrouvent avec un cancer du côlon, de l’œsophage, du foie … Alors avant d’en arriver au stade du cancer où les soins coûtent très cher et creusent vraiment le trou de la sécurité sociale, ne serait-il pas préférable de faire de la prévention et de prendre en charge à temps les citoyens atteints de cette pathologie?
J’ai une dent contre les politiques, de gauche comme de droite ! Il est temps de faire bouger les choses. En écrivant, je pense à toutes celles et tous ceux qui vivent dans le silence, avec une maladie, ou les deux en même temps, et qui ne trouvent aucune structure ou aucun professionnel pour les soigner correctement, les écouter et les comprendre. Alors, les politiques, je ne vais pas les lâcher, mon combat ne fait que commencer.
Je n’en suis pas à mon premier coup médiatique ! Si j’ai réussi à dénoncer publiquement les bavures policières en infiltrant cette institution puissante, en médiatisant mon histoire qui a fait l’objet d’un livre, – même si au départ ce n’était pas mon but de devenir auteur d’un livre à scandale – eh bien ! je ferai la même chose pour médiatiser mon parcours de boulimique-anorexique qui n’est pas unique en France.
Je n’ai pas ma langue dans ma poche, je ne veux plus taire ma maladie, et encore moins me murer dans le silence; car moi je n’ai jamais demandé qu’à l’école publique un maître me maltraite, je n’ai jamais demandé à subir de sa part des attouchements sexuels … je m’arrêterai juste là, par respect pour moi-même, pour ne pas trop me salir.
L’état est en partie responsable de ma descente aux enfers, le sang qui a coulé de mes veines ne doit en aucun cas être passé sous silence. Je ne demande pas des dommages et intérêts, car personne ne me rendra mon enfance, mon adolescence perdue … Mais je veux que l’anorexie et la boulimie soit reconnues comme deux GRAVES maladies et non pas comme une grippe que l’on soigne avec des cachets …
Je suis remonté !!! Mais ce combat n’est pas seulement le mien, c’est également celui des malades. Courage et gardons espoir ! »
Jamel termine son témoignage par le discours de martin Luther King :
I have a dream
« Je rêve d’un jour,
Où toutes les vallées s’élèveront
Chaque colline et chaque montagne s’abaissera,
Où l’ordre remplacera le chaos,
Et la pureté des cœurs
Redressera les torts,
Où la gloire du créateur sera révélée
Afin que tout ce qui vit
Puisse la voir.
Ceci est notre espoir.
Avec la foi,
Nous serons capables
De tailler la montagne du désespoir.
En diamant de l’espoir.
Fort de cette foi,
Nous serons capables de changer
Dans notre nation
Le son de la discorde
En une merveilleuse
Symphonie de fraternité,
Fort de cette foi,
Nous serons capables de travailler ensemble,
De lutter ensemble,
Sachant qu’un jour,
Viendra la liberté pour tous. »
Martin Luther King